Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/208

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de vous, mais au tribunal même de mon propre cœur, qui malgré cette apparence de légéreté, est entiérement à vos peines. Comme cette lettre n’est qu’un tissu de folies, elle ne partira pas sans être accompagnée d’une autre, qui contiendra quelque chose de plus solide, et de plus convenable à votre malheureuse situation, c’est-à-dire, au sujet présent de notre correspondance. Anne Howe.



Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

jeudi à sept heures du matin. Ma mère et ma cousine sont parties à la pointe du jour, dans une berline à quatre chevaux, avec trois laquais derrière elles, escortées par leur intrépide écuyer, et lui par deux de ses gens, à cheval, comme leur maître. Ma mère et lui aiment la parade, lorsqu’ils sortent ensemble ; c’est une espèce de compliment qu’ils se font entr’eux, et qui marque du moins que l’un croit le recevoir de l’autre. Robert, qui est votre serviteur et le mien, sans avoir d’autres maîtres, est demeuré pour tout le jour à nos ordres. Je dois commencer, ma chère, par blâmer la résolution où vous êtes de n’entrer dans aucune contestation pour vos droits. On se doit justice à soi-même comme on la doit aux autres. Je vous blâme encore plus d’avoir déclaré cette résolution à votre tante et à votre sœur. Elles n’auront pas manqué de le dire à votre père et à votre frère, qui n’ont pas assez de générosité pour n’en pas tirer avantage. Je me souviens d’avoir entendu de vous une observation, que vous teniez, disiez-vous, du docteur Lewin, à l’occasion d’un excellent prédicateur, dont la conduite répondait mal à ses talens ; " que, pour exceller dans la spéculation et dans la pratique, il faut posséder des qualités différentes, qui ne se trouvent pas toujours réunies dans la même personne. " je souhaiterais, ma chère, que vous qui réunissez si heureusement la pratique à la spéculation dans tout ce qu’il y a de véritablement louable, vous fissiez ici l’application de cette maxime à vous-même. Il s’agit de l’exécution des volontés de votre grand-pere : croyez vous que, parce qu’elles sont en votre faveur, vous soyez plus libre de vous en dispenser, que ceux qui n’ont pas d’autre motif que leur intérêt pour les violer ? Je sais quel est votre mépris pour les richesses : mais vous m’avez avoué néanmoins qu’elles ont un côté par lequel vous les jugiez estimables : " c’est, disiez-vous, qu’elles donnent le pouvoir d’obliger ; au lieu que leur privation impose la nécessité de recevoir des faveurs, qui ne sont quelquefois accordées qu’à regret, ou du moins de mauvaise grâce, par de petits esprits qui ne savent pas en quoi consiste le principal mérite d’un bienfait. " réfléchissez, ma chère, sur un principe que vous n’auriez pas établi, si vous ne l’aviez cru certain ; et voyez comment il s’accorde avec la déclaration que vous avez faite à votre tante et à votre sœur, que, fussiez-vous chassée de la maison paternelle, et réduite à l’indigence, vous ne réclameriez point vos droits sur un bien qu’on ne peut vous contester. La crainte même qu’ils ont de vous y voir rentrer, ne vous marque-t-elle pas que leurs mauvais traitemens vous y autorisent ? J’avoue qu’à la première lecture, j’ai été sensiblement touchée de la