Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/217

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pour un acte de révolte. Il est clair pour moi, ma chère, qu’ils ne croiraient avoir obtenu que la moitié de ce qu’ils se proposent, en me forçant d’épouser M Solmes, s’ils ne me faisaient pas perdre entièrement la faveur de mon père et de mes oncles. Trois lignes, mon frère, suffisaient pour m’informer de la résolution de mes amis ; mais vous auriez manqué l’occasion d’étaler votre pédanterie par une si infame allusion au vers de Virgile. Permettez-moi de vous dire, monsieur, que si l’humanité a fait une partie de vos études au collège, elle n’a pas trouvé en vous un esprit propre à recevoir ses impressions. Je vois que mon sexe, et la qualité de sœur, ne sont pas des titres qui me donnent droit à la moindre décence, de la part d’un frère qui paraît s’être plutôt appliqué à cultiver ses mauvaises qualités naturelles, qu’aucune de ces dispositions à la politesse que la naissance doit donner indépendamment de l’éducation. Je ne doute pas que cet exorde ne vous déplaise ; mais, comme vous vous l’êtes attiré justement, mon inquiétude là-dessus diminuera d’autant plus de jour en jour, que je vous vois chercher à faire briller votre esprit aux dépens de la justice et de la compassion. Je suis lasse enfin de souffrir des mépris et des imputations qui conviennent moins à un frère qu’à personne ; et j’ai, monsieur, une grâce particulière à vous demander : c’est d’attendre, pour vous mêler du soin de me chercher un mari, que j’aie la présomption de proposer une femme pour vous. Pardonnez, s’il vous plaît ; mais je ne puis m’empêcher de croire que, si j’avais l’art de mettre mon père de mon côté, mes droits seraient les mêmes, à votre égard, que ceux que vous vous attribuez sur moi. Quant à l’information que vous me donnez par votre lettre, je suis disposée, comme je le dois, à recevoir tous les ordres de mon père ; mais cette déclaration, néanmoins, venant d’un frère qui a fait éclater depuis peu tant d’animosité contre moi, sans autre raison que celle de se trouver une sœur de trop pour son propre intérêt, je me crois en droit de conclure qu’une lettre, telle que vous me l’avez envoyée, est uniquement de vous ; et de vous déclarer, à mon tour, qu’aussi long-temps que j’en aurai cette opinion, il n’y aura point de lieu où je puisse aller volontairement, ni même sans violence, pour y recevoir les visites de M Solmes. Je crois mon indignation si juste, pour l’honneur de mon sexe comme pour le mien, que, dans la profession que je fais de ne pas déguiser mes sentimens, je vous déclare aussi que je ne recevrai plus de vos lettres, si je n’y suis obligée par une autorité à laquelle je ne disputerai jamais rien, excepté dans un cas où mon bonheur, pour l’avenir et pour la vie présente, est également intéressé : et si j’avais le malheur de tomber dans ce cas, je serais sûre que la rigueur de mon père viendrait moins de lui-même que de vous, et des spécieuses absurdités de vos ambitieux systêmes. Irritée comme je le suis, j’ajouterai qu’en me supposant même aussi perverse et aussi obstinée que je me l’entends reprocher, on ne m’aurait jamais traitée si cruellement. Consultez votre cœur, mon frère ; dites à qui j’en ai l’obligation : et voyez de quoi je suis coupable, pour mériter tous les maux que vous avez fait tomber sur moi.

Clarisse Harlove.