Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/226

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qui vous a fait sentir que tous les droits sont violés dans le traitement que je reçois de vous. Si je me trompe en vous supposant des remords, je suis si sûre de la justice de ma cause, que moi, fille ignorante, peu instruite des règles du raisonnement, et plus jeune que vous d’un tiers de vos années, je consens à faire dépendre mon sort du succès d’une dispute avec vous, c’est-à-dire, monsieur, avec un homme qui a reçu son éducation à l’université, dont l’esprit doit s’être fortifié par ses propres observations et par les lumières d’une société savante, et qui (pardonnez-moi de descendre si bas) est accoutumé à donner le coup de grâce à ceux contre lesquels il daigne prendre la plume. Je vous laisse le choix du juge, et je ne le demande qu’impartial. Prenez, par exemple, votre dernier gouverneur, ou le vertueux docteur Lewin. Si l’un ou l’autre se déclare contre moi, je promets de me résigner à ma destinée ; pourvu qu’on me promette aussi que, dans l’autre supposition, mon père me laissera libre de refuser la personne qu’on veut me donner malgré moi. Je me flatte, mon frère, que vous accepterez d’autant plus volontiers cette offre, que vous paroissez avoir une haute idée de vos talens pour le raisonnement, et n’en avoir pas une médiocre de la force des argumens que vous avez employés dans votre dernière lettre. Si vous êtes persuadé que l’avantage ne puisse manquer d’être pour vous, dans l’occasion que je vous propose, il me semble que l’honneur vous fait une loi de montrer, devant un juge impartial, que la justice est de votre côté, et l’injustice du mien. Mais vous sentez bien que ce combat demande nécessairement d’être engagé par écrit ; que les faits doivent être établis et reconnus de part et d’autre, et la décision donnée suivant la force des argumens ; car vous me permettrez de dire que je connais trop bien votre naturel impétueux, pour m’exposer avec vous à des combats personnels. Si vous n’acceptez pas ce défi, j’en conclurai que vous ne sauriez justifier votre conduite à vos propres yeux ; et je me contenterai de vous demander à l’avenir les égards dûs à une sœur, par un frère qui aspire à quelque réputation de savoir et de politesse. Trouvez-vous qu’à présent, monsieur, je commence à montrer, par ma fermeté, que je me sens un peu de l’honneur que j’ai d’appartenir à vous et à ma sœur ? Vous trouverez peut-être aussi que c’est m’éloigner de cette partie de mon caractère qui paroissait m’attirer autrefois l’amitié de tout le monde. Mais, considérez, s’il vous plaît, à qui ce changement doit être attribué ; et que je n’en aurais jamais été capable, si je n’avais reconnu que c’est à ce caractère même que je dois attribuer les mépris et les insultes dont vous ne cessez pas d’accabler une sœur foible et sans défense, qui, malgré l’amertume de sa douleur, ne s’est jamais écartée du respect et de l’affection qu’elle doit à son frère, et qui ne désire que des raisons de conserver pendant toute sa vie les mêmes sentimens. Clarisse Harlove. Admirez, ma chère, la force et la volubilité de la passion : cette lettre, où vous ne trouverez pas la moindre rature, est l’original ; et la copie que j’ai envoyée à mon frère, n’est pas plus nette. Vendredi à trois heures. Betty, qui l’a portée, est bientôt revenue, toute surprise, et m’a dit en