Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/230

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suis. Ai-je ou n’ai-je pas assez souffert ? Si la persécution continue, si cet étrange Solmes persiste contre une aversion tant de fois déclarée, quel parti prendre ? Me retirerai-je à Londres, et m’efforcerai-je de me dérober à Lovelace et à tous mes proches, jusqu’au retour de M Morden ? M’embarquerai-je pour Livourne, dans le dessein d’aller joindre mon unique protecteur à Florence ? Que de dangers de ce côté-là, quand je considère mon sexe et ma jeunesse ! Et ne peut-il pas arriver que mon cousin parte pour l’Angleterre, lorsque je serais en chemin vers l’Italie ? Que faire ? Parlez, dites, ma très-chère Miss Howe ; car je n’ose me fier à moi-même.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

vendredi à minuit. Le calme renaît un peu dans mon esprit. L’envie, l’ambition, les ressentimens de l’amour-propre, et toutes les passions violentes, sont sans doute endormies autour de moi. Pourquoi l’heure des ténèbres et du silence ne suspendrait-elle pas aussi mes tristes sentimens, pendant que mes persécuteurs reposent, et que le sommeil du moins tient leur haine assoupie ? J’ai employé une partie de ce temps paisible à relire vos dernières lettres. Je veux faire mes observations sur quelques-unes ; et pour être moins exposée à perdre l’espèce de repos dont je jouis, il faut que je commence par ce qui regarde M Hickman. Je me figure bien qu’il n’était pas assis devant vous, lorsque vous avez tiré son portrait. Après tout, néanmoins, il n’est pas fort à son désavantage. Dans des circonstances un peu plus tranquilles, j’en hasarderais un plus aimable et plus ressemblant. Si M Hickman n’a pas la contenance ferme qu’on voit à d’autres hommes, il a reçu en partage l’humanité et la douceur qui manquent à la plupart, et qui, jointes à la tendresse infinie qu’il a pour vous, en feront un mari le plus convenable du monde pour une personne de votre vivacité. Quoique vous paroissiez persuadée que je ne voudrais pas de lui pour moi-même, je vous assure de bonne foi, que si M Solmes lui ressemblait par la figure et le caractère, et qu’il ne me fût pas permis de me borner au célibat, je n’aurais jamais eu de querelles pour lui avec ma famille. M Lovelace, du caractère dont on le connaît, ne l’aurait pas balancé dans mon esprit. Je le dis d’autant plus hardiment, que, des deux passions de l’amour et de la crainte, Lovelace est capable d’inspirer la dernière, dans une proportion que je ne crois pas compatible avec l’autre pour former un heureux mariage. Je suis charmée de vous entendre dire que vous n’avez pour personne plus de goût que pour M Hickman. Si vous excitez un peu votre cœur, je ne doute pas que vous ne reconnaissiez bientôt qu’il n’y a personne pour qui vous en ayez autant ; sur-tout, lorsque vous ferez attention que les défauts mêmes qui vous frappent dans sa personne ou dans son caractère sont propres à vous rendre heureuse : du moins, s’il est nécessaire pour votre bonheur de ne faire jamais que vos volontés. Vous avez un tour d’esprit, permettez-moi cette remarque, qui, avec vos admirables talens, donnerait l’air d’un sot à tout homme qui serait amoureux de