Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/232

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de l’approbation que M Lovelace donne à votre systême, je n’en suis pas étonnée. Il pénètre, sans doute, les difficultés que je trouverais à le faire réussir sans son assistance. Si j’étais assez aimée du ciel pour devenir aussi libre que je le souhaiterais, cet homme merveilleux n’aurait peut-être pas à se louer autant de moi que sa vanité le porte à s’en flatter, malgré le plaisir que vous prenez à me railler sur les progrès qu’il a faits dans mon cœur. êtes-vous bien sûre, vous qui ne paroissez pas déclarée contre lui, que tout ce qui paraît raisonnable et spécieux dans ses offres, tel que d’attendre son sort de mon choix, lorsque je me trouverai dans l’indépendance

(ce qui ne signifie dans mes idées, que la liberté de refuser pour mari cet odieux Solmes) ; tel encore que de ne me pas voir sans ma permission, et jusqu’au retour de M Morden, et jusqu’à ce que je sois satisfaite de sa réformation ; croyez-vous, dis-je, que ce ne soit pas un air qu’il se donne, uniquement pour nous faire prendre une meilleure idée de lui, en offrant, comme de lui-même, des conditions sur lesquelles il voit fort bien qu’on ne manquerait pas d’insister dans les cas qu’elles supposent ? Et puis, j’ai de sa part mille sujets de mécontentement. Que signifient toutes ses menaces ? Prétendre néanmoins qu’il ne pense point à m’intimider ! Et vous prier de ne m’en rien dire, lorsqu’il sait que vous ne l’en croirez pas, et qu’il ne vous le dit lui-même que dans l’intention, sans doute, de m’en informer par cette voie ! Quel misérable artifice ! Il nous regarde apparemment comme deux folles, qu’il compte mener par la frayeur. Moi, prendre un mari de cette violence ! Mon propre frère, l’homme qu’il menace ! Et M Solmes ! Que lui a fait M Solmes ? Est-il blâmable, s’il me croit digne de son affection, de faire tous ses efforts pour m’obtenir ? Que ne s’en fie-t-on à moi, sur ce point seulement ? Ai-je donc accordé tant d’avantage à M Lovelace, qu’il soit en droit de menacer ? Si M Solmes étoit un homme que je pusse voir du moins avec indifférence, on s’appercevrait peut-être que le mérite de souffrir pour moi, de la part d’un esprit si bouillant, ne lui serait pas toujours inutile. C’est mon sort d’être traitée comme une folle par mon frère : mais M Lovelace reconnaîtra… je veux lui expliquer à lui-même ce que je pense là-dessus, et vous en serez informée alors de meilleure grâce. En même tems, ma chère, permettez-moi de vous dire que, malgré toute la méchanceté de mon frère, je me trouve blessée, dans mes momens de sang froid, par vos mordantes réflexions sur l’avantage que Lovelace a remporté sur lui. à la vérité, il n’est pas votre frère ; mais songez que c’est à sa sœur que vous écrivez. Sérieusement, miss, votre plume est trempée dans le fiel, lorsque vous traitez quelque sujet qui vous offense. Savez-vous qu’en lisant plusieurs de vos expressions contre lui et d’autres de mes proches, il me vient à l’esprit, quoiqu’elles soient en ma faveur, de douter si vous avez vous-même assez de modération pour vous croire en droit d’appeler à votre tribunal ceux qui s’emportent à des excès de chaleur ? Il me semble que nous devrions apporter tous nos soins à nous garantir des fautes qui nous blessent dans autrui. Cependant j’ai tant de sujets de plainte contre mon frère et ma sœur, que je ne ferais pas un reproche si libre à ma plus chère amie, si je ne trouvais son badinage outré, sur un évènement où la vie d’un frère, après tout, était sérieusement en danger, et lorsqu’on peut craindre que le même feu ne se rallume, avec des suites beaucoup plus funestes. Que