Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/233

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je m’écarte volontiers de moi-même ! Et que je souhaiterais d’oublier, s’il était possible, ce qui me touche le plus ! Cette digression me ramène à sa cause, et delà, aux vives agitations où j’étais en finissant ma dernière lettre ; car il n’y a rien de changé dans ma situation. Le jour approche, et va m’exposer peut-être à de nouvelles épreuves. Je vous prie, avec les mêmes instances, de me donner un conseil où la faveur et le ressentiment n’aient aucune part. Dites-moi ce que je dois faire ; car, si je suis forcée d’aller chez mon oncle, il ne faut pas douter que votre malheureuse amie ne soit perdue sans ressource : cependant, quel moyen de l’éviter ? Mon premier soin sera de porter ce paquet au dépôt. Hâtez-vous de m’écrire aussi-tôt que vous l’aurez reçu. Hélas ! Je crains bien que votre réponse n’arrive trop tard. Clarisse Harlove.



Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

samedi, 25 de mars. Quel conseil puis-je vous donner, ma noble amie ? Votre mérite fait votre crime. Il vous est aussi impossible de changer de naturel, qu’à ceux qui vous persécutent. N’attribuez vos malheurs qu’à l’immense disparité qui est entre vous et eux. Que demandez-vous d’eux ? Ne soutiennent-ils pas leur caractere ? Et à l’égard de qui ? D’une étrangère : car, en vérité, vous ne leur appartenez pas. Ils se reposent sur deux points ; sur leur propre impénétrabilité , (que je lui donnerais volontiers son vrai nom, si je l’osais !) et sur les égards dont ils vous connaissent incapable de manquer pour vous-même, joints à vos craintes du côté de Lovelace, dont ils vous croient persuadée que le caractère vous décréditerait, si vous aviez recours à lui pour vous délivrer de vos peines. Ils savent aussi que le ressentiment et l’inflexibilité ne vous sont pas naturels ; que les agitations qu’ils ont excitées dans votre ame auront le sort de tous les mouvemens extraordinaires, qui est de s’appaiser bientôt ; et qu’une fois mariée, vous ne songerez plus qu’à vous consoler de votre situation. Mais comptez que le fils et la fille aînée de votre père se proposent entr’eux de vous rendre malheureuse pour toute votre vie ; quand vous épouseriez l’homme qu’ils ont en vue pour vous, et qui a déjà une liaison plus intime avec eux que vous n’en pourriez jamais avoir avec une telle moitié. Ne voyez-vous pas avec quel soin ils communiquent à une ame si étroite tout ce qu’ils savent de votre juste aversion pour lui ? à l’égard de sa persévérance, ceux qui en seraient surpris le connaissent mal. Il n’a pas le moindre sentiment de délicatesse. S’il prend jamais une femme, soyez sûre que l’ame n’entrera pour rien dans ses vues. Comment chercherait-il une ame ? Il n’en a point. Chacun ne cherche-t-il pas son semblable ? Et comment connaîtrait-il le prix de ce qui le surpasse, lorsque par la supposition même il ne le comprend point ? S’il arrivait qu’ayant le malheur d’être à lui, vous lui fissiez voir naturellement un défaut de tendresse, je suis portée à croire qu’il s’en affligerait peu, parce qu’il en aurait plus de liberté à suivre les sordides inclinations qui le dominent. Je vous ai entendu observer, d’après votre Madame Norton, " que toute personne qui est la proie d’une passion