Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/235

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de la consolation. Mais à présent, que vous m’avez si bien prouvé qu’il faut renoncer à ce parti, je m’efforce en vain de trouver quelque expédient. Je veux quitter la plume, pour y penser encore. J’ai pensé, réfléchi, considéré, et je vous proteste que je ne suis pas plus avancée qu’auparavant. Ce que j’ai à dire, c’est que je suis jeune comme vous, que j’ai le jugement beaucoup plus foible et les passions plus fortes. Je vous ai dit anciennement que vous aviez trop offert en proposant de vous réduire au célibat. Si cette proposition était acceptée, la terre, qu’ils auraient tant de regret de voir sortir de la famille, retournerait un jour à votre frère, avec plus de certitude, peut-être, que par la reversion précaire dont M Solmes les flatte. Vous êtes-vous efforcée, ma chère, de faire entrer cette idée dans leurs têtes bizarres ? Le mot tyrannique d’ autorité est la seule objection qu’on puisse faire contre cette offre. N’oubliez pas une considération : c’est que, si vous preniez le parti de quitter vos parens, le respect et l’affection que vous leur portez ne vous permettraient aucun appel contr’eux pour votre justification. Vous auriez par conséquent le public contre vous ; et si Lovelace continuait son libertinage, ou n’en usoit pas bien avec vous, quelle justification pour leur conduite à votre égard, et pour la haine qu’ils lui ont déclarée ! Je demande pour vous au ciel ses plus parfaites lumières. Ce que j’ai à dire encore, c’est qu’avec mes sentimens, je serais capable de tout entreprendre, d’aller dans toutes sortes de lieux, plutôt que de me voir la femme d’un homme que je haïrois, et que je serais sûre de haïr toujours s’il ressemblait à Solmes. Je n’aurais pas souffert non plus tout ce que vous avez essuyé de chagrins et d’outrages ; du moins d’un frère et d’une sœur, si j’avais eu cette patience pour un père et des oncles. Ma mère se persuade qu’après avoir employé tous leurs efforts pour vous assujettir à leurs volontés, ils abandonneront leur entreprise lorsqu’ils commenceront à désespérer du succès. Mais je ne puis être de son opinion. Je ne vois point qu’elle se fonde sur d’autre autorité que sa propre conjecture. Autrement je me serais imaginé, en votre faveur, que c’est un secret entr’elle et votre oncle Antonin. Malheur, à l’un des deux du moins, (j’entends à votre oncle) s’ils en avoient quelque autre entr’eux ! Il faut vous garantir, s’il est possible, d’être menée chez votre oncle. L’homme, le ministre, la chapelle, votre frère et votre sœur présens… vous serez infailliblement forcée de vous donner à M Solmes ; et des sentimens de fermeté, si nouveaux pour vous, ne vous soutiendront point dans une occasion si pressante. Vous reviendrez à votre naturel. Vous n’aurez pour défense que des larmes méprisées, des appels et des lamentations inutiles ; et la cérémonie e sera pas plutôt profanée , si vous me passez cette expression, qu’il faudra sécher vos pleurs, vous condamner au silence, et penser à prendre une nouvelle forme de sentimens, qui puissent vous faire obtenir de votre nouveau maître le pardon et l’oubli de toutes vos déclarations de haine. En un mot, ma chère, il faudra le flatter. Votre conduite passée n’est venue que de la modestie de votre état ; et votre rôle sera jusqu’à la mort, de vérifier son impudente raillerie, que les filles qui affectent le plus de réserve font ordinairement des femmes passionnées . Ainsi, vous commencerez la carrière par un vif sentiment de reconnaissance pour la bonté qui vous aura fait obtenir grâce ;