Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/237

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plus digne de cette amitié qui est l’unique plaisir dont je puisse me glorifier. Mes remercimens sont aussi vifs qu’ils doivent l’être, pour la diligence de vos dernières dépêches. Que je vous ai d’obligation ! Que j’en ai même à votre honnête messager ! Ma triste situation me met dans le cas d’en avoir à tout le monde. Je vais répondre, le mieux qu’il m’est possible, aux articles de votre obligeante lettre. Ne me soupçonnez pas de pouvoir surmonter mes dégoûts pour M Solmes, aussi long-temps qu’il lui manquera de la générosité, de la franchise, de la bonté, de la politesse et toutes les qualités qui forment l’homme de mérite. ô ma chère ! De quel degré de patience, de quelle grandeur d’ame, une femme n’a-t-elle pas besoin, pour ne pas mépriser un mari qui est plus ignorant, qui a l’ame plus basse et l’esprit plus borné qu’elle, à qui ses prérogatives donnent néanmoins des droits qu’il veut exercer, ou qui ne peut les abandonner sans un déshonneur égal pour celle qui gouverne et pour celui qui se laisse gouverner ! Comment supporter un mari tel que je le peins, quand on supposerait même que, par des raisons de convenance ou d’intérêt, il fût de notre propre choix ? Mais se voir forcée de le prendre, et s’y voir forcée par d’indignes motifs ! Quel moyen de vaincre une aversion qui porte sur des fondemens si justes ? Il est bien plus aisé de soutenir une persécution passagère, que de se résoudre à porter une chaîne honteuse et révoltante, dont le poids doit durer autant que la vie. Si j’étais capable de me rendre, ne faudrait-il pas quitter mes parens, et suivre cet insupportable mari ? Un mois sera peut-être le terme de la persécution ; et le lien d’un tel mariage serait un malheur perpétuel. Chaque jour ne luirait, vraisemblablement, que pour éclairer quelque nouvelle infraction des devoirs jurés à l’autel. Il paraît donc, ma chère, que M Solmes est déjà occupé de sa vengeance ! Tout s’accorde à me le confirmer. Hier au soir, mon effrontée geolière m’assura que toutes mes oppositions n’auraient pas plus d’effet qu’une prise de tabac , en avançant vers moi le pouce et le doigt, où elle en tenait une ; que je serai Madame Solmes ; que je dois me garder par conséquent de pousser la raillerie trop loin, parce que M Solmes est un homme capable de ressentiment, et qu’il lui a dit à elle-même, que, devant être sûrement sa femme, je manquais aux bonnes règles de la politique ; puisque, s’il n’était pas plus miséricordieux que moi (c’est le terme de Betty, j’ignore s’il s’en est servi comme elle), je m’exposais à des repentirs qui pourraient durer jusqu’au dernier de mes jours. Mais c’en est assez sur un homme, qui, suivant le récit de sir Harry Downeton, a toute l’insolence de son sexe, sans une seule qualité qui puisse le rendre supportable. J’ai reçu deux lettres de M Lovelace, depuis la visite qu’il vous a rendue ; ce qui fait trois avec celle que j’avais laissée sans réponse. Je ne doutais pas qu’il n’en ressentît quelque chagrin ; mais, dans sa dernière, il se plaint de mon silence en termes fort hauts. C’est moins le style d’un amant soumis, que celui d’un protecteur méprisé. Son orgueil paraît mortifié de se voir forcé, dit-il, à roder chaque nuit autour de nos murs, comme un voleur ou un espion, dans l’espérance de trouver une lettre de moi, et à faire cinq milles pour regagner un misérable logement, sans remporter aucun fruit de ses peines. Je ne tarderai point à vous envoyer