Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/244

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votre obéissance. Elle a prétendu que, parmi ces hommes si distingués par leur esprit et leur figure, on n’a presque jamais trouvé un bon mari, parce qu’ordinairement ils sont si remplis de leur mérite, qu’ils croient une femme obligée de prendre d’eux l’opinion qu’ils en ont eux-mêmes. Il n’y avait ici rien à craindre de cette considération, lui ai-je dit, parce que, du côté de l’esprit et du corps, la femme aurait toujours de l’avantage sur l’homme ; quoique, de l’aveu de tout le monde, il en eût beaucoup lui même sur son propre sexe. Elle ne peut souffrir que je loue d’autres hommes que son cher Hickman ; sans considérer qu’elle attire sur lui un degré de mépris qu’il pourrait éviter, si, par cette affection à lui attribuer un mérite qu’il n’a pas, elle ne diminuait pas celui qu’il a réellement, mais qui perd beaucoup dans certaines comparaisons. Ici, par exemple, quelle aveugle partialité ! Elle m’a soutenu qu’à la réserve des traits et du teint, qui ne sont pas si agréables dans M Hickman, et de l’air, qu’il a moins libre et moins hardi, qualités, dit-elle, qui doivent peu toucher une femme modeste, il vaut M Lovelace à toutes les heures du jour. Pour abréger une comparaison si choquante, je lui ai dit que, si vous aviez été libre et traitée avec moins de rigueur, j’étais persuadée que vous n’auriez jamais eu de vues contraires à celles de votre famille. Elle a cru pouvoir me prendre sur les termes : je l’en trouve moins excusable, m’a-t-elle dit, car il y a donc ici plus d’opiniâtreté que d’amour. Ce n’est pas non plus ma pensée, lui ai-je répondu. Je sais que Miss Clarisse Harlove préférerait M Lovelace à tout autre homme, si ses mœurs… si ! A-t-elle interrompu : ce si comprend tout. Mais croyez-vous qu’elle aime réellement M Lovelace ? Que fallait-il répondre, ma chère ? Je ne veux pas vous dire quelle a été ma réponse : mais si j’en avais fait une autre, quelqu’un m’en aurait-il crue ? D’ailleurs, je suis sûre que vous l’aimez. Pardon, ma chère : cependant songez que, n’en pas convenir, c’est reconnaître que vous ne le devez pas. Au fond, ai-je repris, il mérite le cœur d’une femme ; si… aurais-je répété volontiers : mais les parens, madame… ses parens, Nancy… (vous savez, ma chère, que, malgré le reproche que ma mère fait à sa fille d’être trop vive, elle ne cesse pas elle-même d’interrompre). Peuvent prendre de fausses mesures, n’ai-je pas laissé de continuer… ne peuvent avoir tort, et ont raison, j’en suis sûre, a-t-elle dit de son côté. Par lesquelles, ai-je repris, ils engageront peut-être une jeune personne dans quelque démarche téméraire dont elle n’aurait jamais été capable. Mais, si vous avouez qu’elle serait téméraire, cette démarche, a repliqué ma mère, doit-elle y penser ? Une fille prudente ne prendra jamais droit des fautes de ses parens pour en commettre une. Le public, qui blâmerait les parens, n’en trouverait pas la fille plus justifiée. La jeunesse et le défaut d’expérience, qu’on pourrait alléguer en sa faveur, ne serviraient, tout au plus, qu’à diminuer la tache. Mais une jeune personne aussi admirable que Miss Clarisse Harlove, dont la prudence est si supé