Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/258

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

j’essuie, il est dangereux pour moi d’avoir quelque obligation à la patience d’un homme qui néglige sa santé pour me servir. " il n’a pas trouvé, dit-il, d’autre abri qu’une grosse touffe de lierre, qui s’est formée autour de deux ou trois vieilles têtes de chênes, et qui a bientôt été pénétrée de la pluie. " vous et moi, ma chère, je me souviens qu’un jour de chaleur, nous nous crûmes fort obligées à l’ombrage naturel du même lieu. Je ne puis m’empêcher de convenir que je suis fâchée qu’il ait souffert pour l’amour de moi. Mais c’est à lui-même qu’il doit s’en prendre. Sa lettre est datée d’hier à huit heures du soir. Tout indisposé qu’il est, il me dit " qu’il veillera jusqu’à dix, dans l’espérance que je lui accorderai l’entrevue qu’il me demande si instamment. Ensuite, il a un mille à faire à pied, pour retrouver son laquais et son cheval, et de-là, quatre milles jusqu’à son logement. " " il m’avoue enfin qu’il a dans notre famille un homme de confiance, qui lui a manqué depuis un jour ou deux. Son inquiétude, dit-il, en est plus insupportable, parce qu’il ignore comment je me porte et comment je suis traitée. " cette circonstance me fait deviner qui est le traître. C’est Joseph Léman , l’homme de la maison pour lequel mon frère a le plus de confiance, et qu’il emploie le plus volontiers. Je ne trouve pas ce procédé honorable dans M Lovelace. A-t-il pris cet infame usage de corrompre les domestiques d’autrui, dans les cours étrangères, où il a résidé assez long-temps ? Il m’est venu quelques soupçons sur ce Léman, dans les visites que je rends à ma volière. Ses respects affectés me l’ont fait prendre pour un espion de mon frère ; et, quoiqu’il parût chercher à me plaire en s’éloignant du jardin et de ma basse-cour lorsqu’il me voyait paraître, je m’étonnais que ses rapports n’eussent pas fait diminuer quelque chose de ma liberté. Peut-être cet homme est-il payé des deux côtés, et trahit-il les deux personnes qu’il feint de servir de part et d’autre. On n’a pas besoin de ces méthodes obliques avec de bonnes intentions. Une ame honnête s’indigne également contre le traître et contre ceux qui l’emploient. Il revient à ses instances, pour obtenir une entrevue. " après la défense, dit-il, que je lui ai faite de reparoître au bûcher, il n’ose désobéir à mes ordres ; mais il peut m’apporter des raisons si fortes pour lui permettre de rendre une visite à mon père et à mes oncles, qu’il espère que je les approuverai. Par exemple, ajoute-t-il, il ne doute pas que je ne sois aussi fâchée que lui, de le voir réduit à des pratiques clandestines, qui conviennent mal à un homme de sa naissance et de sa fortune. Mais, si je consens qu’il se présente d’un air ferme et civil, il me promet que rien ne sera capable d’altérer sa modération. Son oncle l’accompagnera, si je le juge à propos ; ou sa tante Lawrance fera la première visite à ma mère, ou à Madame Hervey, ou même à mes deux oncles ; et les conditions qui seront offertes auront quelque poids sur ma famille. " il me demande en grâce de ne pas lui refuser la permission de voir M Solmes. Son intention n’est pas de lui nuire ni de l’effrayer, mais simplement de lui représenter, d’un ton calme et par de bonnes raisons, les fâcheux effets d’une persévérance inutile. Il renouvelle d’ailleurs la résolution