Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/263

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perdre, dans l’espérance où nous sommes de vous trouver autant de générosité après cette entrevue, que vous nous avez trouvé d’indulgence. Je vous conseille donc de ne pas vous endurcir volontairement, et sur-tout, de ne prendre aucune résolution d’avance. M Solmes est plus embarrassé, et j’ose dire plus tremblant, à la seule pensée de paraître devant vous, que vous ne pouvez l’être dans l’attente de sa visite : son motif est l’amour. Que la haine ne soit pas le vôtre. Mon frère Antonin sera présent. Il espère que vous mériterez son affection, en prenant des manières civiles pour un ami de la famille. Votre mère aura la liberté d’y être aussi, si elle le juge à propos : mais elle m’a dit que, pour tout au monde, elle ne s’y engagerait point sans avoir reçu, de votre part, les encouragemens qu’elle désire. Permettez qu’en finissant je vous donne un petit avis d’amitié : c’est de faire un usage discret de votre plume et de votre encre. " il me semble qu’avec un peu de délicatesse, une jeune personne doit écrire moins librement à un homme, lorsqu’elle est destinée pour un autre. Je ne doute pas que votre complaisance n’en produise de plus grandes, qui rétabliront bientôt la tranquillité de la famille ; et c’est le désir ardent d’un oncle qui vous aime. Jules Harlove. Cet homme, ma chère, est plus tremblant que moi de la crainte de me voir ! Comment cela est-il possible ? S’il avait la moitié seulement de mon effroi, il ne souhaiterait pas notre entrevue. L’amour pour motif ! Oui, l’amour de lui-même. Il n’en connaît pas d’autre. Le véritable amour cherche moins sa propre satisfaction que celle de son objet. Pesé à cette balance, le nom de l’amour est une profanation dans la bouche de M Solmes. que je ne prenne point mes résolutions d’avance ! cet avis est venu trop tard. Je dois faire un usage discret de ma plume . Dans le sens qu’ils le prennent et de la manière dont ils ont ménagé les choses, je crains bien que ce point ne me soit aussi impossible que l’autre. Mais, écrire à un homme, lorsque je suis destinée pour un autre ! connaissez-vous rien de si choquant que cette expression ? N’ayant point attendu que cette faveur me fût accordée, pour me repentir de la promesse que j’ai faite à M Lovelace, vous jugez bien qu’après avoir obtenu du délai, je n’ai pas hésité un moment à la révoquer. Je me suis hâtée de lui écrire que je trouvais du danger à le voir comme je me l’étais proposé ; que les suites fâcheuses de cette démarche, si quelque accident la faisait découvrir, ne pouvaient être justifiées par aucun motif raisonnable ; que le matin et le soir, en prenant l’air au jardin, je m’étais aperçue que j’étais plus observée par un domestique que par tous les autres : qu’en supposant que ce fût celui dont il se croit sûr, j’avais pour maxime qu’il y a peu de confiance à prendre aux traîtres, et que ma conduite ne m’avait pas accoutumée à me reposer sur la discrétion d’un valet : que j’étais fâchée qu’il fît entrer dans ses mesures une démarche dont je ne pouvais me rendre un compte favorable à moi-même : qu’approchant du point critique qui devait décider entre mes amis et moi, je ne voyais aucune nécessité pour une entrevue, surtout lorsque les voies qui avoient servi jusqu’alors à notre correspondance n’étoient soupçonnées de personne, et qu’il pouvait m’écrire librement ses idées : qu’