Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/264

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en un mot, je me réservais la liberté de juger de ce qui convenait aux circonstances, particulièrement lorsqu’il pouvait compter que je préférerais la mort à M Solmes. Mardi au soir. J’ai porté au dépôt ma lettre à M Lovelace. Malgré les nouveaux périls qui semblent me menacer, je suis plus contente de moi que je ne l’étais auparavant. à la vérité, je ne doute pas que ce changement ne lui cause un peu de mauvaise humeur. Mais je m’étais réservé le droit de changer de pensée. Comme il doit s’imaginer aisément que dans l’intérieur d’une maison il arrive mille choses dont on ne peut juger au-dehors, et que je lui en ai fait même entrevoir quelques-unes, je trouverais fort étrange qu’il ne reçut pas mes explications d’assez bonne grâce pour me persuader que sa dernière lettre est l’ouvrage de son cœur. S’il est aussi touché de ses fautes passées qu’il le prétend, ne doit-il pas avoir un peu corrigé son impétuosité naturelle ? Il me semble que le premier pas vers la réformation, est de subjuguer ces emportemens soudains, d’où naissent souvent les plus grands maux, et d’apprendre à souffrir des contre-tems. Quelle espérance de voir prendre à quelqu’un tout l’ascendant nécessaire sur des passions plus violentes, et fortifiées par l’habitude, s’il ne parvient pas même à se rendre maître de son impatience ? Il faut, ma chère, que vous me fassiez le plaisir d’employer quelques personnes de confiance, pour vous informer sous quel déguisement M Lovelace s’est établi dans le petit village qu’il appelle Nile . Si ce lieu est celui que je m’imagine, je ne le prenais que pour un hameau, sans nom et sans hôtellerie. Comme il doit y avoir fait un long séjour, pour avoir été si constamment près de nous, je serais bien aise d’être un peu informée de sa conduite et de l’idée que les habitans ont de lui. Il est impossible que depuis si long-temps il n’ait pas donné quelque sujet de scandale, ou quelque espérance de réformation. Ayez cette complaisance pour moi, ma chère ; je vous apprendrai une autre fois les raisons que j’ai de le souhaiter, si vos informations mêmes ne vous les font pas découvrir.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

vendredi, à neuf heures du matin. Ma promenade du matin m’a déjà fait trouver une réponse de M Lovelace à la lettre que je lui écrivis hier au soir. Il doit avoir avec lui une plume, de l’encre et du papier, car elle est datée du taillis ; avec cette circonstance, qu’il l’a écrite sur un genou, et l’autre à terre. Vous allez voir néanmoins que ce n’est pas un sentiment de respect pour celle à qui elle est adressée. Qu’on a raison de nous instruire de bonne heure à tenir ce sexe dans l’éloignement ! Un cœur simple et ouvert, qui se fait une peine de désobliger, se laisse mener plus loin qu’il ne veut. Il n’a que trop de facilité à se gouverner par les mouvemens d’un caractère hardi, qui prend droit des moindres avantages pour augmenter ses prétentions. Rien n’est si difficile, ma chère, pour une jeune personne de bon naturel, que de dire non, lorsqu’elle est sans défiance. L’expérience sert peut-être à resserrer le cœur et à l’endurcir, quand il s’est trouvé