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Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

jeudi, 30 de mars, à la pointe du jour. Un accident que je n’ai pu prévoir a causé ma négligence. C’est le nom que je donne à l’interruption de mes lettres, parce qu’en attendant que je me sois expliquée, je conçois que vous n’avez pu lui en donner d’autre. Dimanche au soir, un courier de Madame Larkin, dont je vous ai représenté la situation dans une de mes lettres précédentes, est venu presser ma mère de retourner chez elle. Cette pauvre femme, toujours effrayée de la mort, était une de ces imaginations foibles qui se persuadent qu’un testament signé en est le présage infaillible. Elle avait toujours répondu, lorsqu’on l’avertissait d’y penser, qu’elle ne survivrait pas long-temps à cette cérémonie ; et je me figure qu’elle s’est crue obligée de vérifier son langage, car depuis ce moment elle n’a fait qu’aller de mal en pis. Comme ces craintes agissaient autant sur l’esprit que sur le corps, on nous a raconté que dans l’espérance de se rétablir, elle avait pensé plus d’une fois à brûler le testament. Enfin, les médecins lui ayant déclaré qu’il lui restait peu de tems à vivre, elle a fait dire à ma mère qu’elle ne pouvait mourir sans l’avoir vue. J’ai représenté que, si nous souhaitions qu’elle se rétablit c’était une raison pour ne pas la voir. Mais ma mère s’est obstinée à vouloir partir ; et ce qu’il y a de pis, c’est qu’elle a voulu que je fusse du voyage. Si j’avais eu plus de temps pour faire valoir mes raisons, il y a bien de l’apparence que j’en aurais été dispensée ; mais le courier étant arrivé fort tard, je n’ai reçu l’ordre que le lendemain au matin, une heure avant le départ ; et le dessein était de revenir le même jour. On a répondu à mes représentations que je ne me plaisais qu’à contredire, que ma sagesse engageait toujours les autres dans quelque folie, et qu’à propos ou non, on exigeait pour cette fois de la complaisance. Je ne puis donner qu’une explication à ce caprice de ma mère. Elle voulait se faire escorter de M Hickman, et lui procurer la satisfaction de passer le jour avec moi, (que je souhaiterais d’en être sûre !) pour m’écarter, autant que je me l’imagine, d’une compagnie qu’elle redoute pour lui et pour moi. Le croiriez-vous, ma chère ? Aussi sûrement que vous êtes au monde, elle tremble pour son favori, depuis la longue visite que votre Lovelace m’a rendue pendant sa dernière absence. Je me flatte que vous n’en êtes pas jalouse aussi. Mais réellement, il m’arrive quelquefois, lorsque je suis fatiguée d’entendre louer Hickman plus qu’il ne mérite, de me venger un peu, en relevant dans Lovelace des qualités personnelles que l’autre n’aura jamais. Mon dessein, comme je dis, est un peu de la mortifier. Pourquoi ne lui rendrais-je pas le change ? Je suis sa fille pour quelque chose. Vous savez qu’elle est passionnée, et que je suis une créature assez vive. Ainsi vous ne serez pas surprise que ces occasions n’arrivent jamais sans querelle. Elle me quitte : mon devoir, entendez-vous, ne me permettrait pas de me retirer la première : et je me trouve alors toute la liberté dont j’ai besoin pour vous écrire. Je vous avouerai, en passant, qu’elle ne goûte pas trop notre correspondance : pour deux raisons, dit-elle ;