Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/283

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Mais, bon dieu ! Ma chère, qu’allons-nous devenir à présent ? Lovelace, non-seulement réformé, mais changé en prédicateur ! Qu’allons-nous devenir ? Au fond, ma tendre amie, votre générosité est engagée maintenant en sa faveur. Fi de cette générosité. J’ai toujours pensé qu’elle cause autant de mal aux belles ames, que l’amour aux caractères communs. J’appréhende sérieusement que ce qui n’était qu’un goût conditionnel , ne devienne un goût sans condition . C’est comme à regret que je me suis vue obligée de changer sitôt mes invectives en panégyrique. La plupart de femmes, ou celles du moins qui me ressemblent, aiment à demeurer en suspens sur un jugement téméraire, lors même qu’elles en ont reconnu la fausseté. Tout le monde n’est pas, comme vous, assez généreux pour avouer une méprise. Cette rigueur à se rendre justice demande une certaine grandeur d’ame : de sorte que j’ai poussé plus loin mes informations dans le même lieu, sur la vie, les manières et toute la conduite de votre homme… dans l’espérance d’y trouver quelque chose à redire. Mais tout paraît uniforme. Enfin M Lovelace sort de cette recherche avec tant d’avantage, que s’il y avait la moindre apparence, je soupçonnerais ici quelque complot formé, pour blanchir la tête d’un more. Adieu, ma chère. Anne Howe.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

samedi, premier avril. Une censure précipitée nous expose toujours à l’inconstance dans nos jugemens ou dans nos opinions : et ce n’est pas un effet dont on doive se plaindre ; car, si vous-même, ma chère, dans l’exemple présent, vous aviez eu autant de répugnance que vous le dites à reconnaître une erreur, je crois que je vous en aurais aimée beaucoup moins. Mais vous n’auriez pas prévenu de si bonne foi ma réflexion, si votre caractère n’était un des plus ingénus qu’on ait jamais vu dans une femme. Quoique M Lovelace paroisse ici fort bien justifié, ses autres défauts sont en assez grand nombre pour mériter les plus sévères censures. Si j’étais avec lui dans les termes qu’il désire, je lui donnerais avis que le traître Léman n’est pas autant de ses amis qu’il le pense. Autrement, il n’aurait pas été si empressé de rapporter à son désavantage, sur-tout à Betty Barnes, l’affaire de la jolie villageoise. Il est vrai qu’il en a fait un secret à Betty ; mais il lui a promis de lui en apprendre davantage lorsqu’il serait mieux informé, et d’en parler aussi à son maître. C’est ce qui empêche cette fille de la publier, malgré l’impatience qu’elle aurait de s’en faire un nouveau mérite auprès de mon frère et de ma sœur. Elle est bien aise aussi d’obliger Joseph, qui lui tient quelques propos d’amour qu’elle ne rejette pas, quoiqu’elle se croie fort au-dessus de lui. Il n’est que trop ordinaire à la plupart des femmes, lorsqu’elles n’ont pas l’occasion de s’engager dans un commerce de galanterie qui leur plaise, de prêter l’oreille du côté où leur inclination les porte le moins. Mais, pour ne rien dire de plus, de deux personnages dont j’ai fort mauvaise opinion, je dois vous avouer que, comme je n’aurais jamais eu