Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/289

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fait plusieurs fois des lettres de Lovelace et des vôtres, vous m’avez fort bien informée où vous en êtes avec lui ? J’allais vous exercer un peu par quelques mauvaises plaisanteries de mon goût : mais puisque vous souhaitez qu’on vous croie supérieure à tout notre sexe dans l’art de vous maîtriser vous-même, et que vous méritez en effet qu’on ait cette opinion de vous, je veux vous épargner. Convenez néanmoins que vous avez été quelquefois prête à m’ouvrir votre cœur, et que si vous êtes arrêtée, c’est par un peu de mauvaise honte, qui vous reste à combattre. Vous achéverez de la vaincre ; et vous me ferez la grâce alors de vous expliquer sans aucun déguisement. Je ne puis me pardonner l’excès de votre libéralité pour un homme déjà trop heureux de vous avoir servie. Une année de ses gages ! Y pensez-vous ? Je crains que vous ne causiez sa ruine. Son argent lui fera trouver l’occasion de se marier dans le voisinage ; et peut être avant trois mois aura-t-il raison d’attribuer son malheur à vos bienfaits. Il faut vous laisser , dites-vous, la liberté de vous satisfaire sur ces bagatelles . Oui, je sais fort bien que là-dessus on perd sa peine à vous contredire. Vous avez toujours attaché trop de prix aux moindres services qu’on vous rend, et trop peu à ce que vous faites de plus important pour autrui. Il est vrai qu’on est payé de tout, par la satisfaction qu’on y prend. Mais, pourquoi voudriez-vous que la noblesse de votre ame devînt un sujet de reproche pour tout le genre humain ; pour votre famille du moins, et pour la mienne aussi ? Si c’est une excellente règle, comme je vous l’ai entendu dire, de prêter l’oreille aux paroles, mais de ne former nos jugemens que sur les actions , que faut-il penser d’une jeune personne qui s’étudie, dans ses paroles, à chercher des palliatifs et des excuses pour la bassesse de ceux même qu’elle condamne par ses actions ? Vous devriez rougir, ma chere, au milieu d’une nombreuse famille, d’y paroître si singulière. Lorsque vous aurez rencontré quelqu’un dont l’ame ressemble à la vôtre, déployez hardiment toutes vos grandes qualités : mais jusqu’alors il me semble que, par pitié pour autrui, vous devez accoutumer votre esprit et votre cœur à souffrir un peu de contradiction. Je ne m’étais proposé de vous écrire que deux lignes, dans le seul dessein de vous rendre tranquille sur le sort de votre paquet ; et mon papier néanmoins se trouve rempli. Quel moyen de retenir ma plume sur un sujet aussi cher et aussi fertile que vos louanges ? Pour vous punir de cette bagatelle que je vous reproche, et dont je suis très-sérieusement irritée, je regrette que l’espace manque au désir que j’aurais de relever tant de belles actions qui forment comme le tissu de votre vie, et dont celle-ci n’est qu’un exemple ordinaire. L’idée me plaît. C’est une voie, dont je veux faire l’essai quelque jour, d’intéresser votre modestie à modérer l’excès de vos autres vertus.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

dimanche au soir, 2 avril. Quel détail j’ai à vous faire, ma chère amie, et que je vais vous causer d’admiration par le changement qui est arrivé dans la conduite de mes amis ! Je n’aurais jamais cru qu’il y eût tant d’art parmi nous que j’en