Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/320

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laissez-là, laissez-là, M Solmes ; son règne est court. Vous la verrez bientôt assez humble et assez mortifiée. La petite folle, apprivoisée, sentira les reproches de sa conscience, et vous demandera grâce alors ; trop heureuse de pouvoir l’obtenir ! Ce frère barbare aurait continué plus long-temps ses insultes, si Chorey n’était venue le rappeler par l’ordre de mon père. Dans la douleur et l’effroi d’être traitée si brutalement, je passais d’une chaise sur une autre, avec toutes les marques d’une violente agitation. M Solmes a tenté de s’excuser, en m’assurant qu’il était fort affligé de l’emportement de mon frère. Laissez-moi, monsieur, laissez-moi, ou vous m’allez voir tomber sans connaissance. En effet, je me suis cru prête à m’évanouir. Il s’est recommandé à ma faveur, avec un air d’assurance qui m’a paru augmenter par l’abattement où il me voyoit. Il a profité même de ma situation pour se saisir d’une de mes mains tremblantes, que toute ma résistance n’a pu l’empêcher de porter à son odieuse bouche. Je me suis éloignée de lui avec indignation. Il est sorti en redoublant ses grimaces, et ses révérences ; fort content de lui-même, autant que j’en ai pu juger, et jouissant de ma confusion. Je l’ai encore devant les yeux. Il me semble que je le vois, se retirant lourdement en arrière, se courbant à chaque pas, jusqu’à ce que la porte, qui était ouverte et contre le bord de laquelle il a donné en reculant, l’a fait souvenir heureusement de me tourner le dos. Aussi-tôt que je me suis trouvée seule, Betty est venue m’apprendre qu’on m’accordait enfin la permission de remonter à ma chambre. Elle avait ordre, m’a-t-elle dit, de m’exhorter à faire des réflexions sérieuses, parce que le temps était court ; quoiqu’elle m’ait fait entendre qu’on pourrait m’accorder jusqu’à samedi. Dans la liberté que je lui laisse de parler, elle m’a raconté que mon frère et ma sœur ont été blâmés de s’être trop emportés avec moi ; mais qu’après avoir recueilli toutes les circonstances, sur leur récit et sur celui de mon oncle, on s’est déterminé plus que jamais en faveur de M Solmes. Il prétend lui-même que sa passion est plus vive pour moi qu’elle n’a jamais été, et que, loin d’être rebuté par mes discours, il a trouvé des charmes à m’entendre. On ne l’entend parler qu’avec extase, de la bonne grâce et de l’air de dignité avec lequel je ferai les honneurs de sa maison. Betty me fait d’autres peintures aussi flatteuses, sans que je puisse juger si elles sont d’elle ou de lui. La conclusion, dit-elle, avec son insolence ordinaire, est de me soumettre de bonne grâce ; ou, ce qu’elle me conseille encore plus, de faire mes conditions moi-même avec lui. Si je manque l’occasion, elle peut me répondre qu’à la place de M Solmes, elle n’en serait pas disposée à me mieux traiter : et quelle femme au monde, m’a répété plusieurs fois cette effrontée créature, aimera mieux admirer un jeune homme libertin, que d’être admirée elle-même par un homme sage, et d’un caractère à l’être toujours ? Elle ajoute qu’il faut que mon bonheur ou mon adresse aient été surprenans, pour avoir trouvé le moyen de cacher mes papiers. Je dois bien m’imaginer, dit-elle, qu’elle n’ignore pas que j’ai sans cesse la plume à la main : et comme j’apporte tous mes soins à lui en dérober la connaissance, elle n’est pas obligée de me garder le secret.