Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/322

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non sur l’indulgence de votre mère. Vous en sentirez l’importance, si vous considérez qu’ils sont résolus de m’enlever samedi, au plus tard, pour la maison de mon oncle, et peut-être dès demain. Avant que de passer à la nouvelle violence qui m’a fait perdre mon papier et mes plumes, il faut vous informer, en peu de mots, de quelques circonstances qui l’ont précédée. Ma tante, qui semble n’avoir plus d’autre maison que la nôtre, aussi bien que M Solmes et mes deux oncles, est montée chez moi au moment de mon réveil. Elle m’a dit que je ne devais pas faire difficulté d’entendre ce que M Solmes raconte de M Lovelace, ne fût-ce que pour m’éclaircir de plusieurs choses qui me convaincraient de la bassesse de son caractère, et qu’il ne peut jamais faire qu’un mauvais mari : que je serais libre de les expliquer à mon gré, et de les prendre, si je voulais, au désavantage de Solmes ; mais que j’étais d’autant plus intéressée à ne le pas ignorer, qu’il y en avait quelques-unes qui me regardaient personnellement. Je lui ai répondu, que ma curiosité n’était pas fort vive, parce que j’étais sûre qu’elles ne pouvaient être à mon désavantage, et que M Lovelace n’avait aucune raison de m’attribuer l’empressement dont quelques-uns de mes amis avoient eu l’injustice de m’accuser. Il se donnait, m’a-t-elle dit, de grands airs sur l’éclat de sa naissance, et il parlait de notre famille avec mépris, comme s’il croyait se rabaisser par une alliance avec nous. Je suis convenue que, si ce reproche avait quelque fondement, c’était un indigne homme de parler mal d’une famille qui, à l’exception de la pairie, n’était pas inférieure à la sienne. J’ai ajouté que cette dignité même me paroissait jeter moins d’honneur que de honte sur ceux qui n’ont point assez de mérite pour lui prêter autant d’ornement qu’ils en reçoivent d’elle ; qu’à la vérité, l’absurde orgueil de mon frère, qui lui faisait déclarer de toutes parts qu’il ne s’allierait jamais qu’à la haute noblesse, avait pu faire naître des doutes injurieux pour la nôtre : mais que, si j’étais bien sûre que, par une autre sorte d’orgueil, où je ne trouverais que de la bassesse, M Lovelace fût capable de prendre droit d’un avantage accidentel pour nous insulter ou pour s’estimer trop, je le croirais aussi méprisable du côté du jugement, qu’il pouvait l’être par ses mœurs. Elle a pris plaisir à me répéter qu’il s’était donné souvent ces outrageantes libertés, avec l’offre de m’en fournir des preuves qui me surprendroient. J’ai répondu que, quelque certitude qu’elle trouvât dans les preuves, haï comme il l’était de toute notre famille, qui s’emportait ouvertement contre lui dans toutes sortes de lieux, les principes de la justice commune semblaient demander qu’on approfondît à quelle occasion il s’était rendu coupable du crime qu’on lui reprochait, et si les invectives de quelques-uns de mes amis, trop enflés de leurs richesses, qui leur faisaient peut-être mépriser tous les autres avantages, et nuire à leurs propres prétentions de noblesse, pour décrier la sienne, ne l’avoient pas excité à parler d’eux avec le même mépris. En un mot, ai-je conclu, pouvez-vous dire, madame, que la haine ne soit pas aussi envenimée de notre côté que du sien ? Parle-t-il de nous avec moins de ménagement que nous ne parlons de lui ? Et quant à l’objection si souvent répétée, qu’il serait un mauvais mari, croyez-vous qu’il