Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/328

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sans quoi, quel motif auraient-ils pour me tenir dans une espèce de prison ? Il prétend que, traitée comme je le suis, l’indépendance à laquelle j’ai droit est une raison qui suffit pour justifier le changement de ma demeure, si c’est le parti auquel je veux m’attacher, ou le désir de prendre possession de ma terre, si je veux me borner à ce prétexte : que si j’avais quelque tache à redouter, la conduite de mes parens l’aurait déjà jetée sur moi : que mon honneur ne saurait m’intéresser plus que lui-même et tous les siens, puisqu’il a l’espérance de me voir à lui pour jamais : et s’il est question, dit-il, de suppléer à la perte de ma propre famille, il croit penser avec raison, qu’il y en a peu d’aussi propres que la sienne à cette espèce de dédommagement, par quelque voie que je lui fasse l’honneur d’accepter sa protection et ses services. " mais il proteste qu’à toutes sortes de risques, il empêchera que je ne sois menée chez mon oncle, parce qu’il est sûr de me perdre sans ressource, si j’entre une fois dans cette redoutable maison. Il m’apprend que mon frère, ma sœur et M Solmes doivent s’y trouver pour me recevoir ; que mon père et ma mère n’en approcheront pas avant la célébration ; mais qu’ensuite ils paroîtront tous deux, dans l’espérance de me réconcilier avec mon odieux mari, en me représentant les loix sacrées d’un double devoir. " hélas ! Ma chère, avec quelle violence suis-je poussée entre deux extrémités cruelles ? Cependant ce dernier avis n’a que trop de vraisemblance. Chaque pas qui se fait ici semble tendre à ce but ! Et ne me l’a-t-on pas presque ouvertement déclaré ? Il avoue " que, sur des intelligences, dont il connaît la certitude, il a déjà pris toutes ses mesures ; mais que, par considération pour moi, (car je dois supposer, dit-il, que ses ressentimens n’ont pas d’autre frein), il désire si vivement d’éviter les voies extrêmes, qu’il a souffert qu’une personne peu suspecte, et qui feindra de ne le pas connaître, découvre à mes parens quelles sont ses résolutions, s’ils persistent dans le dessein de me conduire malgré moi chez mon oncle. Son espérance, dit-il, est que la crainte de quelque évènement tragique pourra leur faire changer de mesures ; quoiqu’en supposant qu’elle ne produise pas cet effet, il s’expose, par un avis de cette conséquence, au risque de voir redoubler leur garde. " n’êtes-vous pas surprise, ma chère, de la hardiesse et de la résolution de cet homme-là ? " il me demande quelques lignes de réponse, avant la nuit, ou demain au matin. S’il ne reçoit pas cette faveur, il en conclura que je suis gardée plus étroitement, et qu’il n’a pas un moment à perdre pour agir dans cette supposition. " vous verrez par cet extrait, comme par sa lettre précédente, qui est à peu près dans le même langage, combien il tire d’avantage de ma situation, dans ses offres, dans ses déclarations, et même dans ses menaces. Aussi me garderais-je bien de les souffrir, sans une si forte raison. Il faut, après tout, que je me détermine promptement à quelque chose, si je ne veux pas me trouver bientôt dans l’impossibilité de me secourir moi-même. Mais je veux vous envoyer sa lettre sous l’enveloppe même de celle-ci, afin que vous jugiez mieux de ses propositions, et de ses intelligences. Je me serais épargné la peine d’en faire un extrait, si cette pensée m’était venue plutôt, et si j’avais fait réflexion aussi qu’il ne