Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/329

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doit plus me rester d’écrit entre les mains. Je ne puis oublier ce qu’elle contient, quoique je sois fort embarrassée pour y répondre. Me jeter sous la protection de sa famille, est une démarche dont je ne soutiens pas l’idée… mais je n’examinerai pas sérieusement ses propositions, sans avoir reçu de vous un autre éclaircissement, dont le délai coute beaucoup à mon impatience. Il est certain que de la bonté de votre mère dépendent les seules espérances auxquelles je puisse m’attacher par choix. Je ne vois aucune protection qui puisse me faire plus d’honneur que la sienne, d’autant plus que ma fuite alors ne serait point une breche irréparable, et que je pourrais retourner chez mon père, à des conditions qui me délivreraient de Solmes, sans m’affranchir de l’autorité paternelle. Je ne pense point à l’indépendance ; ce qui diminue beaucoup la difficulté pour votre mère : et quand je serais forcée d’user de mon droit, je ne voudrais jamais l’étendre plus loin que mon frère, qui jouit du sien dans la terre qu’on lui a léguée, sans y trouver d’opposition. Dieu me préserve de me croire jamais dégagée du joug de la nature, quelque droit que je puisse tirer du testament de mon grand-père ! En me laissant sa terre, comme une récompense de ma soumission et de mon respect, il n’a pas eu dessein de m’élever au-dessus de mon devoir ; et cette réflexion, qu’on m’a représentée avec justice, me fera toujours craindre de ne pas répondre à ses intentions. Hélas ! Si mes amis connaissaient le fond de mon cœur ! S’ils en avoient du moins l’opinion qu’ils ont toujours eue ! Car, je le répete encore, s’il ne me trompe pas moi-même, il n’est pas changé, quoique celui de mes amis le soit beaucoup. Que votre mère vous permette seulement de m’envoyer son carrosse, ou une chaise, au même lieu où M Lovelace propose de faire venir celui de son oncle. Dans mes terreurs continuelles, je ne balancerais pas un moment à me déterminer. Vous me placeriez, comme je vous l’ai déjà dit, où vous le jugeriez à propos : dans une cabane, dans un grenier, déguisée en servante ; ou sous le nom, si vous voulez, de la sœur d’un de vos gens. Ainsi, j’éviterais, d’un côté, M Solmes, et de l’autre, le chagrin de chercher un refuge dans une famille qui est en guerre avec la mienne. Je serais contente de mon sort ! Si votre mère me refuse, quel asile, quelle espérance me reste-t-il au monde ? Très-chère Miss Howe, secourez de vos conseils une malheureuse amie. J’avais quitté la plume. L’excès de mon inquiétude me faisait craindre de m’abandonner à mes propres réflexions. J’étais descendue au jardin pour essayer de rendre un peu de calme à mon esprit, en changeant la scène. à peine avais-je fait un tour dans l’allée des noisettiers, que Betty est venue à moi : prenez garde, miss ! Voici votre père, voici votre oncle Antonin, votre frère et votre sœur, qui se promènent à vingt pas de vous ; et votre père m’ordonne de voir où vous êtes, dans la crainte qu’il a de vous rencontrer. Je me suis jetée dans une allée de traverse ; et voyant paraître ma sœur, je n’ai eu que le tems de me retirer derrière une charmille, pour attendre qu’ils fussent passés. Il me semble que ma mère n’est pas en bonne santé. Ma mère garde sa chambre. S’il arrivait qu’elle se trouvât plus mal, ce serait un surcroît de malheur pour moi, dans l’idée que tous ces troubles auraient fait trop d’impression sur son cœur.