Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/330

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Vous ne sauriez vous imaginer, ma chère, quelles ont été mes agitations, derrière cette charmille, en voyant passer mon père si près de moi. J’ai pris plaisir à le regarder au travers des branches ; mais j’ai tremblé comme une feuille, lorsque je lui ai entendu prononcer ces terribles paroles : " mon fils, et vous, Bella, et vous mon frère, je vous abandonne entièrement la conclusion de cette affaire. " je ne puis douter qu’il ne fût question de moi. Cependant, pourquoi me suis-je sentie si touchée, puisque ce n’est pas d’aujourd’hui que je suis abandonnée à leur cruauté ? Pendant que mon père était au jardin, j’ai fait présenter mes respects à ma mère, et demander l’état de sa santé, par Chorey, que le hasard m’a fait rencontrer sur l’escalier ; car, à l’exception de ma geolière, aucun des domestiques n’ose se trouver sur mon passage. J’ai reçu une réponse si mortifiante, que, sans regretter mon inquiétude pour une santé si chère, je me suis repentie du moins de mon message : " qu’elle se dispense de cette curiosité pour des désordres dont elle est la cause. Je ne veux recevoir d’elle aucun compliment. " ce langage est bien dur, ma chère, vous conviendrez qu’il est bien dur. Cependant j’ai le plaisir d’apprendre que ma mère est déjà mieux. C’était un accès de colique, à laquelle vous savez qu’elle est sujette, et dont on la croit délivrée. Plaise au ciel qu’elle le soit ! Car on rejette sur moi tout ce qui arrive de mal dans cette maison. Une si bonne nouvelle méritait de ne pas être accompagnée d’une circonstance fort désagréable : Betty m’a déclaré qu’elle avait ordre de me faire savoir que mes promenades au jardin et mes visites à ma volière deviennent suspectes, et que, si je demeure ici jusqu’à samedi ou lundi, elles me seront interdites. Peut-être n’a-t-on dessein que de me faire trouver moins de répugnance à me rendre chez mon oncle. On a dit aussi à Betty que, si je me plaignais de ces ordres, et de n’avoir plus la liberté d’écrire, elle pouvait me répondre : " que la lecture m’était plus convenable que l’écriture : que l’une pouvait m’instruire de mon devoir, au lieu que l’autre n’avait servi qu’à m’endurcir dans l’obstination : que mes ouvrages de main me seraient plus utiles que ces promenades si fréquentes, qu’on me voyait faire dans toutes sortes de tems. " ainsi, ma chère, si je ne me hâte pas de prendre une résolution, je me trouverai dans l’impuissance absolue d’éviter le malheur qui me menace, et je perdrai la consolation de vous communiquer mes peines. Mercredi au soir. Tout est en désordre dans la maison. Betty fait l’office d’espion, dedans et dehors. On dresse quelque machine, sans que je puisse m’imaginer ce qui se passe. Je suis déjà presque aussi mal de corps que d’esprit. Réellement, je me sens le cœur fort abattu. Je veux descendre, quoiqu’il soit presque nuit, sous prétexte de me remettre en prenant un peu l’air. Il est impossible à présent que vous n’ayez pas reçu mes deux dernières lettres. Je porterai celle-ci au dépôt, si je le puis ; avec celle de M Lovelace, que je vais mettre sous la même enveloppe ; de peur qu’on ne recommence les recherches. Mon dieu ! Que vais-je devenir ? Tout le monde est dans un mouvement étrange. J’entends fermer brusquement les portes. On ne fait que passer