Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/333

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secrétement à Londres, et de ne laisser savoir où vous êtes, ni à lui, ni à d’autres qu’à moi, jusqu’au retour de M Morden. à l’égard d’une nouvelle prison chez votre oncle, il n’y faut pas penser, si vous pouvez vous en garantir. Il ne faut pas mollir non plus en faveur de Solmes ; c’est ce qu’il y a de plus certain : non-seulement parce qu’il en est indigne, mais encore parce que vous avez déclaré si ouvertement votre aversion pour lui, qu’elle fait aujourd’hui l’entretien de tout le monde, comme le goût qu’on vous suppose pour l’autre. Ainsi, votre réputation, et la crainte des malheurs qui peuvent arriver, vous obligent de choisir entre Lovelace et le célibat. Si vous vous déterminez pour Londres, hâtez-vous de me le faire savoir. J’espère que nous aurons le temps de prendre de justes mesures pour votre départ, et pour vous procurer un logement qui vous convienne. Il vous sera aisé, pour gagner du tems, de pallier un peu, et d’entrer dans quelque espèce de composition, si vous ne trouvez pas d’autre voie. Poussée comme vous l’êtes, il serait bien étrange que vous ne fussiez pas obligée de rabattre un peu de vos admirables délicatesses. Vous n’aurez que trop reconnu par tout ce que je viens d’écrire, que j’ai mal réussi auprès de ma mère. J’en suis confuse, j’en suis extrêmement mortifiée, et je vous avoue que rien n’est si contraire à mon attente. Nous avons eu là-dessus des discussions fort vives. Mais outre le misérable argument, de ne pas s’embarrasser des affaires d’autrui, elle prétend que votre devoir est d’obéir. " telle a toujours été son opinion, dit-elle, sur le devoir des filles : elle s’est gouvernée elle-même par cette règle ; mon père fut d’abord le choix de sa famille plus que le sien. " voilà ce qu’elle fait valoir sans cesse, en faveur de son Hickman, comme dans le cas de Solmes. Je ne dois pas douter, puisque ma mère le dit, que sa conduite n’ait été gouvernée par ce principe. Mais j’ai une raison de plus pour le croire ; et vous la saurez, quoiqu’il ne me convienne pas trop de vous l’apprendre : c’est que ce mariage, auquel je dois néanmoins l’existence, n’a pas été aussi heureux qu’on peut l’espérer, lorsqu’en se mariant, on se préfère, de part et d’autre, à tout le reste du monde. Je connais quelqu’un qui ne se trouvera pas mieux, je vous assure de cette double politique de ma mère. Puisqu’elle se croit obligée de lui rapporter si soigneusement toutes ses vues, il est juste qu’il souffre de la mortification que j’ai reçue dans un point que j’avais si fort à cœur. Examinez, ma chère, en quoi votre fidèle amie peut vous servir. Si vous y consentez, je proteste que je suis prête à partir secrétement avec vous. Nous aurons le plaisir de vivre et de mourir ensemble. Pensez-y. Tirez parti de cette ouverture, et donnez-moi vos ordres. On m’interrompt… eh ! Que m’importe le déjeuner, au milieu des chères idées dont je suis remplie ? J’ai toujours entendu dire que, pour vivre caché, Londres est le plus sûr endroit de l’univers. Au reste, il n’est rien sorti de ma plume que je ne sois résolue d’exécuter au premier avis. Les femmes aiment à s’engager quelquefois dans la chevalerie errante, comme elles se font honneur d’y exciter les hommes : mais ici, ce que je propose, n’a rien à quoi l’on puisse donner cette couleur. C’est me mettre en état de faire mon devoir, qui est de servir et de consoler une chère et digne amie, dans