Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/334

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des infortunes qu’elle n’a pas méritées. C’est m’ennoblir, si vous me faites cette grâce, en devenant votre compagne dans l’affliction. J’engagerais ma vie, que nous ne serons pas un mois à Londres sans voir tous les obstacles surmontés, avec l’avantage de n’avoir aucune obligation à toute cette race d’hommes. Je répéterai ce que je crois vous avoir dit plus d’une fois : les auteurs de vos persécutions n’auraient jamais eu la hardiesse de former contre vous leurs systêmes intéressés, s’ils ne s’étoient fiés à l’opinion qu’ils ont de votre douceur. à présent qu’ils ont été trop loin, et qu’ils ont engagé la vieille autorité , (vous me gronderez tant qu’il vous plaira), et les uns et les autres sont dans un embarras égal, pour reculer honnêtement. Lorsque vous serez hors de leurs atteintes, et qu’ils apprendront que je suis avec vous, vous verrez avec quelle confusion ils retireront leurs odieuses cornes. Cependant je regrette que vous n’ayez pas écrit à M Morden aussitôt qu’ils ont commencé à vous maltraiter. Avec quelle impatience je vais attendre s’ils entreprendront de vous conduire chez votre oncle ! Je me souviens que l’intendant congédié de Milord M, donnait à Lovelace six ou sept compagnons, aussi méchans que lui-même, dont le canton se réjouissait toujours d’être délivré. On m’assure qu’il a cette honnête bande actuellement autour de lui. Comptez qu’il ne vous laissera pas mener paisiblement chez votre oncle. à qui vous imaginez-vous que vous appartiendrez, s’il a le bonheur de vous enlever à vos tyrans ? Je tremble pour vous, de la seule supposition d’un combat dont je prévais les suites. Il faut songer qu’il croit se devoir une vengeance ; et c’est ce qui redouble mon chagrin de n’avoir pu obtenir de ma mère la protection que je lui ai demandée si instamment pour vous. Je fais réflexion qu’elle ne déjeûnera pas sans moi. Une querelle a quelquefois ses utilités. Cependant trop et trop peu d’affection sont deux excès qui me déplaisent. Nous venons d’avoir un nouveau démêlé. En vérité, ma chère, elle est d’une… d’une… de quoi dirai-je honnêtement ? d’une difficulté extrême à persuader . Vous devez être bien contente d’un terme si doux. Comment se nommait cet ancien grec, de qui l’on disait qu’il gouvernait Athenes, qu’il étoit gouverné par sa femme, et que sa femme l’était par son fils ? Ce n’a pas été la faute de maman (vous savez que c’est à vous que j’écris), si elle ne gouvernait pas mon père. Pour moi, je ne suis qu’une fille : cependant, lorsque je me suis mis dans la tête de l’emporter sur quelque point, je n’aurais pas cru mon pouvoir aussi borné que je viens de l’éprouver. Adieu, ma très-chère amie ! Nous verrons arriver des temps plus heureux. Ils ne sont pas éloignés. Des cordes si tendues ne peuvent se soutenir long-temps au même point. Il faut qu’elles rompent ou qu’elles se relâchent ; dans l’une ou l’autre supposition, la certitude est préférable à l’état opposé. Je n’ajoute qu’un mot. Ma conscience me dit que vous devez choisir entre ces deux alternatives ; ou de consentir à nous rendre toutes deux secrétement à Londres ; et dans ce cas, je me charge de la voiture, et de vous prendre au même lieu que M Lovelace vous propose pour le carrosse de son oncle : ou de vous