Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/340

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Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

jeudi au soir. Les alarmes dont je vous parlais hier au soir, et le langage obscur de Betty, n’avoient pas d’autre cause que celle dont je me suis défiée, c’est-à-dire, l’avis que M Lovelace a trouvé le moyen de faire donner à ma famille de son insolente résolution ; je ne puis la nommer autrement ; et j’ai jugé, dans le tems, qu’elle était aussi mal conçue pour ses propres intérêts, qu’elle doit paraître insolente ; car a-t-il pu penser, comme Betty l’a fort bien observé, et vraisemblablement d’après ses maîtres, que des parens se laissent ravir le pouvoir de disposer de leur fille par un homme violent qu’ils détestent, et qui ne peut avoir aucun droit de contester leur autorité, à moins qu’il ne prétendît l’avoir reçu de celle qui n’en a point sur elle-même. Combien cette extravagante insolence n’a-t-elle pas dû les irriter, sur-tout revêtue de toutes les couleurs dont mon frère est capable de l’embellir ? Le téméraire a prévalu effectivement sur un point, qui est de leur inspirer assez d’effroi pour leur faire abandonner le dessein de me conduire chez mon oncle ; mais il n’a pas prévu qu’il leur ferait naître un projet plus sûr et plus désespéré, qui m’a jetée moi-même dans l’excès du désespoir, et dont les suites ne répondront que trop peut-être à sa principale vue, quoiqu’il mérite peu que le dénouement tourne si favorablement pour lui. En un mot, j’ai fait la plus téméraire démarche où je me sois engagée de ma vie. Mais je veux vous expliquer mes motifs, et l’action suivra d’elle-même. Ce soir, à six heures, ma tante est venue frapper à la porte de ma chambre, où je m’étais enfermée pour écrire. J’ai ouvert. Elle est entrée ; et, sans me faire l’honneur de m’embrasser, elle m’a dit qu’elle venait me voir encore une fois, mais contre son inclination, parce qu’elle avait à me déclarer des résolutions de la dernière importance pour moi et pour toute la famille. Eh ! Que pense-t-on à faire de moi ? Lui ai-je dit, en prêtant une extrême attention. Vous ne serez pas menée chez votre oncle, mon enfant ; cette nouvelle doit vous consoler. On voit la répugnance que vous avez pour ce voyage. Vous n’irez pas chez votre oncle. Vous me rendez la vie, madame ! (je ne pensais guère à ce qui devait suivre cette condescendance supposée) votre promesse est un baume pour les plaies de mon cœur ; et j’ai continué de bénir le ciel d’une si bonne nouvelle, me félicitant moi-même de l’idée que mon père ne pouvait se résoudre à me pousser jusqu’à l’extrêmité. Ma tante m’a laissé quelque tems cette douce satisfaction par son silence. écoutez, ma nièce, a-t-elle repris enfin : il ne faut pas non plus que vous vous abandonniez trop à la joie. Ne soyez pas surprise, mon cher enfant… pourquoi me regardez-vous d’un air si tendre et si empressé ? Il n’en est pas moins sûr que vous serez Madame Solmes. Je suis demeurée muette. Elle m’a raconté alors qu’on avait appris, par des informations dignes de