Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/359

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de la satisfaction de vous accompagner, j’ai trouvé plus de difficulté que je ne m’y attendais à vous procurer une voiture. Si vous ne m’obligiez pas de garder des mesures avec ma mère, c’est un service que je vous rendrais fort aisément. Je pourrais, sur le moindre prétexte, prendre notre carrosse coupé, y faire mettre deux chevaux de plus, si je le jugeais à propos, et le renvoyer de Londres, sans que personne en fût mieux informé du logement qu’il nous plairait de choisir. Plût au ciel, que vous y eussiez consenti ! En vérité, vous poussez la délicatesse trop loin. Dans votre situation, vous attendez-vous à ne rien perdre de votre tranquillité ordinaire ? Et pouvez-vous donc vous promettre de n’être pas un peu agitée par un ouragan qui menace à chaque instant de renverser votre maison ? Si vous aviez à vous reprocher d’être la cause de vos disgrâces, j’en jugerais peut-être autrement. Mais, lorsque personne n’ignore d’où vient le mal, votre situation doit être regardée d’un œil fort différent. Comment pouvez-vous me croire heureuse, lorsque je vois ma mère aussi déclarée pour les persécuteurs de ma plus chère amie, que votre tante, ou tout autre partisan de votre frère et de votre sœur : par l’instigation de cette tête folle et bizarre, votre oncle Antonin, qui s’étudie (le plat personnage qu’il est) à l’entretenir dans des idées indignes d’elle, pour m’effrayer par l’exemple ? En faut-il davantage pour exciter mon ressentiment, et pour justifier le désir que j’ai de partir avec vous, lorsque notre amitié n’est ignorée de personne ? Oui, ma chère, plus je considère l’importance de l’occasion, plus je demeure persuadée que votre délicatesse est excessive. Ne supposent-ils pas déjà que votre résistance est l’effet de mes conseils ? N’est-ce pas sous ce prétexte qu’ils vous ont interdit notre correspondance ? Et si ce n’était par rapport à vous, ai-je la moindre raison de m’embarrasser de ce qu’ils pensent ? D’ailleurs, quelle disgrâce ai-je donc à redouter de cette démarche ? Quelle honte ? Quelle sorte de tache ? Croyez-vous qu’Hickman en prît occasion de me refuser ? Et s’il en étoit capable, en aurais-je beaucoup de chagrin ? Je soutiens que tous ceux qui ont une ame seraient touchés de cet exemple d’une véritable amitié dans notre sexe. Mais je jetterais ma mère dans une vive affliction. Cette objection a quelque force. Cependant lui causerais-je plus de chagrin que je n’en reçois d’elle, lorsque je la vois gouvernée par un homme de l’espèce de votre oncle, qui ne paraît ici tous les jours que pour susciter de nouveaux sujets de peine à ma chère amie ? Malheur à tous deux, s’il y vient dans une double vue ! Grondez-moi, si vous voulez ; peu m’importe. J’ai dit, et je répète hardiment, qu’une telle démarche enoblirait votre amie. Il n’est pas trop tard encore. Si vous le permettez, j’enlèverai à Lovelace l’honneur de vous servir ; et demain au soir, ou lundi, avant le tems que vous lui avez marqué, je serai à la porte de votre jardin avec un carrosse ou une chaise. Alors, ma chère, si notre fuite est aussi heureuse que je le désire, nous leur ferons des conditions, et des conditions telles qu’il nous plaira. Ma mère sera fort aise de revoir sa fille, je vous le garantis. Hickman pleurera de joie à mon retour, ou je saurai le faire pleurer de chagrin. Mais vous vous fâchez si sérieusement de ma proposition, et vous êtes toujours si féconde en raisonnemens pour appuyer vos opinions, que je