Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/363

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commence à se glorifier de l’heureuse perspective qu’il a devant les yeux ". Voyez avec quel art il s’efforce de m’attacher à ma résolution ! " à l’égard de la fortune, il me supplie d’être sans inquiétude. Son bien nous suffit. Il jouit de cinquante mille livres de rentes effectives, qui n’ont jamais été chargées du moindre embarras ; grâces, peut-être, à son orgueil plus qu’à sa vertu. Son oncle est résolu d’y en ajouter vingt-cinq mille le jour de son mariage, et de lui donner le choix d’un de ses châteaux dans le comté de Hertford, ou dans celui de Lancastre. Il dépendra de moi, si je le désire, de m’assurer de tous ces articles, avant que de prendre avec lui d’autres engagemens. " il me dit que le soin de l’habillement doit être le moindre de mes embarras ; que ses tantes et ses cousines s’empresseront de me fournir toutes les commodités de cette nature, comme il se fera lui-même le plaisir le plus sensible et le plus grand honneur de m’offrir toutes les autres. " que, pour le succès d’une parfaite réconciliation avec mes amis, il sera gouverné, dans toutes ses actions, par mes propres désirs ; et qu’il sait à quel point j’ai cette grande affaire à cœur. " il appréhende que le temps ne lui permette pas de me procurer, comme il se l’était proposé, la compagnie de Miss Charlotte Montaigu à Saint-Albans, parce qu’il apprend qu’un grand mal de gorge l’oblige de garder sa chambre. Mais, aussi-tôt qu’elle sera rétablie, son premier empressement la conduira dans ma retraite avec sa sœur. Elles m’introduiront toutes deux chez leurs tantes, ou leurs tantes chez moi, comme je paroîtrai le désirer. Elles m’accompagneront à la ville, si j’ai du goût pour ce voyage ; et pendant tout le temps qu’il me plaira d’y demeurer, elles ne s’éloigneront pas un moment de moi. " Milord M ne manquera pas de prendre mon tems et mes ordres pour me rendre aussi sa visite, publique ou secrète, suivant mon inclination. Pour lui, lorsqu’il me verra dans un lieu sûr, soit à l’ombre de sa famille, soit dans la solitude que je préfère, il se fera la violence de me quitter, pour ne me revoir qu’avec ma permission. En apprenant l’indisposition de sa cousine Charlotte, il avait pensé, dit-il, à faire remplir sa place par Miss Patty sa sœur ; mais c’est une fille timide , qui ne ferait qu’augmenter notre embarras. " ainsi, ma chère, l’entreprise, comme vous voyez, demande de la hardiesse et du courage. Oui, oui, elle en demande. Hélas, que vais-je entreprendre ? Il paraît persuadé lui-même qu’il me serait nécessaire d’être accompagnée de quelque personne de mon sexe. N’aurait-il pas pu me proposer du moins une des femmes de ses tantes ? Bon dieu ! Que vais-je entreprendre ? Après tout, quelques pas que j’aie faits en avant, je ne vois pas qu’il soit trop tard encore pour revenir. Si je recule, il faut compter d’être mortellement querellée. Mais qu’en arrivera-t-il ? Si j’entrevoyais seulement quelque moyen d’échapper à Solmes, une querelle avec Lovelace, qui m’ouvrirait le chemin au célibat, serait le plus cher de mes désirs. Je défierais alors tout son sexe ; car je ne considère que le trouble et les chagrins qu’il cause au nôtre : et lorsqu’on est une fois engagée, que reste-t-il, que l’obligation de marcher avec des pieds trop tendres, sur des épines, et des épines les plus pointues, jusqu’à la fin d’une pénible route ? Mon embarras augmente à chaque moment ; plus j’y pense, moins je vois de jour à m’en délivrer. Mes incertitudes se fortifient à mesure que le temps s’écoule, et que l’heure fatale approche.