Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/387

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vous le souhaitez : mais, encore une fois, considérez qu’en obtenant même ce délai, qui fait votre unique espérance, vous pouvez être renfermée plus étroitement. Je suis informé que vos parens ont déjà délibéré là-dessus. Toute correspondance alors ne vous sera-t-elle pas fermée, avec Miss Howe , comme avec moi ? De qui recevrez-vous du secours, si la fuite vous devient nécessaire ? Réduite à voir le jardin de vos fenêtres, sans avoir la liberté d’y descendre, comment retrouverez-vous l’occasion que je vous présente aujourd’hui, si votre haine se soutient contre Solmes ? Mais, hélas ! Il est impossible qu’elle se soutienne. Si vous rentrez, ce n’est peut-être que par le mouvement d’un cœur que la résistance fatigue, et qui commence, peut-être, à chercher des prétextes pour se rendre. Je ne puis souffrir, monsieur, de me voir sans cesse arrêtée. Ne serai-je donc jamais libre de me conduire par mon propre jugement ? Les conséquences seront telles qu’il plaira au ciel : je veux rentrer ; et, l’écartant de la main, je présentai encore la clé à la serrure. Son mouvement fut plus prompt que le mien pour se jeter à genoux entre la porte et moi. Eh ! Mademoiselle, je vous le demande encore une fois à genoux, pouvez-vous regarder d’un œil indifférent tous les maux qui peuvent venir à la suite ? Après les outrages que j’ai essuyés, après le triomphe qu’on va remporter sur moi, si votre frère parvient à ses vues ! Mon propre cœur frémit quelquefois de tous les malheurs qui peuvent arriver. Je vous supplie, très-chère Clarisse , de tourner les yeux de ce côté-là, et de ne pas perdre la seule occasion… mes intelligences ne m’apprennent que trop… votre confiance, M Lovelace , va trop loin pour un traître. Vous l’avez placée dans un vil domestique qui peut vous donner de faux avis pour vous faire payer la corruption plus cher. Vous ne savez pas quelles sont mes ressources. J’avais mis enfin la clé dans la serrure, lorsque, se levant d’un air effrayé, et laissant comme échapper une exclamation assez forte, ils sont à la porte, me dit-il brusquement ; ne les entendez-vous pas, ma chère ame ? Et portant la main sur la clé, il la tourna quelques momens, comme s’il eût voulu la fermer à double tour. Aussi-tôt une voix se fit entendre, avec plusieurs coups violens contre la porte, qui me parurent capables de l’enfoncer. vîte, vîte,

entendis-je prononcer plusieurs fois. à moi ! à moi ! Ils sont ici ; ils sont ensemble : vîte, des pistolets, des fusils.

les coups continuaient en même temps contre la porte. De son côté, il avait tiré fièrement son épée, qu’il mit nue sous son bras ; et prenant mes deux mains tremblantes dans la sienne, il me tira de toute sa force après lui. Fuyez, fuyez, hâtez-vous, chère Clarisse ; vous n’avez qu’un instant pour fuir, votre frère, vos oncles, ce Solmes peut-être… ils auront forcé la porte en un moment. Fuyez, ma très-chère vie, si vous ne voulez pas être traitée plus cruellement que jamais… si vous ne voulez pas voir commettre à vos pieds deux ou trois meurtres. Fuyez, fuyez, je vous en conjure ! ô dieu ! S’écria la pauvre insensée, au secours ! Au secours ! Dans un effroi, dans une confusion qui ne lui permettaient de s’opposer à rien.