Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/393

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Observez de garder une distance qui ne lui permette pas de distinguer votre visage. Faites de grandes enjambées, pour déguiser votre marche, et tenez la tête droite ; je réponds, honnête Joseph, qu’elle ne vous reconnaîtra pas. Il n’y a pas moins de variété dans la marche et la contenance des hommes, que dans leurs physionomies. Arrachez un grand pieu dans la palissade voisine, et feignez qu’il résiste à vos efforts, quand il viendrait facilement. Cette vue, si elle tourne la tête, lui paraîtra terrible, et lui fera juger pourquoi vous ne nous suivez pas plus vîte. Ensuite, retournant au château avec cette arme sur l’épaule, faites valoir à la famille ce que vous auriez fait, si vous aviez pu nous joindre, pour empêcher que votre jeune demoiselle ne fût enlevée par un… vous pouvez me donner tous les noms qui vous viendront à la bouche, et me maudire hardiment. Cet air de colère vous fera passer pour un homme courageux qui se serait exposé de bonne foi. Vous voyez, honnête Joseph, que j’ai toujours votre réputation à cœur. On ne court jamais de risque à me servir. Mais si notre entretien durait plus long-temps que je ne le désire, et si quelque personne de la maison cherchait mademoiselle avant que j’aie crié deux fois hem, hem ; alors, pour vous mettre à couvert, ce qui est, je vous assure, un fort grand point pour moi, faites le même bruit que je vous ai déjà recommandé ; mais n’ouvrez pas, comme je vous l’ai recommandé aussi, avec votre clé. Au contraire, marquez beaucoup de regret d’être sans clé ; et de peur que quelqu’un n’en ait une, ayez une petite provision de gravier, de la grosseur d’un pois, dont vous jetterez adroitement deux ou trois grains dans la serrure ; ce qui empêchera que leur clé ne puisse tourner. Prudent comme vous êtes, mon cher Joseph, vous savez que dans les occasions importantes il faut avoir pourvu à toutes sortes d’accidens. Alors, si vous appercevez de loin quelqu’un de mes ennemis, aulieu du cri que je vous ai marqué lorsque vous ferez du bruit à la porte, criez : monsieur ou madame (suivant la personne que vous verrez venir), hâtez-vous, hâtez-vous ; M Lovelace ! M Lovelace ! Et criez de toutes vos forces. Fiez-vous à moi, je serai plus prompt que ceux que vous appellerez. Si c’était Betty, et Betty seule, je n’aurais pas si bonne opinion, Monsieur Joseph, de votre galanterie que de votre fidélité, si vous ne trouviez pas quelque moyen de l’amuser, et de lui faire prendre le change. Vous lui direz que votre jeune demoiselle vous a semblé courir aussi légérement que moi. Ce sera leur confirmer que les poursuites seraient inutiles, et ruiner enfin les espérances de Solmes. Bientôt vous verrez plus d’ardeur à la famille pour se réconcilier avec elle, que pour la poursuivre. Ainsi, vous deviendrez l’heureux instrument de la satisfaction commune, et quelque jour ce grand service sera recompensé par les deux familles. Alors vous serez le favori de tout le monde ; et les bons domestiques se croiront honorés, à l’avenir, d’être comparés à l’honnête Joseph Léman. Si mademoiselle vous reconnaissait, ou venait dans la suite à vous découvrir, j’ai déjà pensé à faire une lettre, que vous prendrez la peine de copier, et qui, présentée dans l’occasion, vous rétablira parfaitement dans son estime. Je vous demande, pour la dernière fois, autant de soin et d’attention