Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/401

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prenait la liberté de m’avouer, continua-t-il, que, si je ne m’étais pas trouvée au rendez-vous, il avait déjà pris la résolution de rendre à ma famille une visite de cette nature, accompagné à la vérité de quelques fidèles amis ; et qu’elle n’aurait pas été remise plus loin que le même jour, parce qu’il n’aurait pu voir arriver paisiblement le mercredi, sans avoir fait tous ses efforts pour apporter quelque changement à ma situation. Quel parti avois-je à prendre, ma chère amie, avec un homme de ce caractère ? Ce discours me réduisit au silence. Mes reproches se tournaient sur moi-même. Tantôt je me sentais effrayée de son audace. Tantôt, portant les yeux sur l’avenir, je ne voyais que des sujets de désespoir et de consternation dans les plus favorables perspectives. L’abattement où me jetèrent ces idées, lui donna le temps de continuer d’un air encore plus sérieux. à l’égard du reste, il espérait que j’aurais la bonté de lui pardonner ; mais il ne pouvait me dissimuler qu’il était affligé, infiniment affligé, répéta-t-il en élevant la voix et changeant même de couleur, de se voir dans la nécessité d’observer que je regrettais de n’avoir pas couru le risque d’être la femme de Solmes, plutôt que de me voir en état de récompenser un homme qui, si je lui permettais de le dire, avait souffert autant d’outrages pour moi que j’en avais essuyés pour lui, qui avait attendu mes ordres, et les mouvemens variables de ma plume (pardonnez, ma Clarisse,) à toutes les heures du jour et de la nuit, pendant toutes sortes de tems, avec une satisfaction, une ardeur qui ne peut être inspirée que par la plus fidèle et la plus respectueuse passion… (ce langage, chère Miss Hove, avait commencé à réveiller beaucoup mon attention) et tout cela, chère miss, dans quelle vue ? (que mon impatience redoubla ici !) dans la seule vue de vous délivrer d’une indigne oppression… monsieur, monsieur ! Interrompis-je d’un air indigné… il me coupa la parole ; souffrez que j’achève, très-chère Clarisse ! J’ai le cœur si plein, qu’il demande à se soulager… et, pour fruit de mes adorations, j’ose dire de mes services, il faut entendre de votre bouche, car vos termes retentissent encore à mes oreilles, et font bien plus de bruit dans mon cœur, que vous donneriez le monde entier et toutes vos espérances dans cette vie, pour être encore dans la maison d’un père cruel … pas un mot contre mon père ! Je ne le souffrirai jamais… à quelque traitement que vous y fussiez réservée ?

allez, mademoiselle, vous poussez la crédulité au-delà de toute vraisemblance, si vous vous imaginez que vous auriez évité d’être la femme de Solmes. Et puis, je vous ai poussée au sacrifice de votre devoir et de votre conscience ? Quoi ! Vous ne voyez pas dans quelle contradiction votre vivacité vous jette ? La résistance que vous avez opposée jusqu’au dernier moment à vos persécuteurs, ne met-elle pas votre conscience à couvert de tous les reproches de cette nature ? Il me semble, monsieur, que votre délicatesse est extrême sur les mots. C’est une colère fort modérée que celle qui s’arrête aux expressions. En effet, ma chère, j’ai pensé depuis, que ce que j’avais pris d’abord pour une véritable colère, ne venait point de cette chaleur soudaine qu’il n’est pas toujours aisé de réprimer ; mais que c’était plutôt une colère de commande, à laquelle il ne lâchait la bride que pour m’intimider. Il reprit : pardon, mademoiselle, j’achève en deux mots. N’êtes-vous