Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/418

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qu’elles empêcheront une fille d’écrire, ou de faire ce qu’elle s’est mis dans la tête ? Elles réussiraient bien mieux par la confiance. Une ame généreuse serait incapable d’en abuser. Le rôle que vous avez à soutenir avec votre Lovelace, me paraît extrêmement délicat. Il n’a sans doute qu’un chemin ouvert devant lui. Mais je vous plains ! Vous pouvez tirer parti de l’état où vous êtes ; cependant j’en conçois toutes les difficultés. Si vous ne vous êtes point aperçue qu’il soit capable d’abuser de votre confiance, je suis d’avis que vous devez feindre du moins de lui en accorder un peu. Si vous n’êtes pas disposée à prendre si tôt le parti du mariage, j’approuve la résolution de vous fixer dans quelque lieu qui soit hors de ses atteintes. Tant mieux encore s’il peut ignorer où vous êtes. Cependant je suis persuadée que, sans la crainte que vos parens ont de lui, ils n’auraient pas plutôt découvert votre retraite, qu’ils vous forceraient de retourner sous le joug. Je crois qu’à toutes sortes de prix vous devez exiger de vos exécuteurs testamentaires, qu’ils vous mettent en possession de votre héritage ? Dans l’intervalle, j’ai soixante guinées à vous offrir. Elles n’attendent que vos ordres. Il me sera facile de vous en procurer davantage avant qu’elles soient employées. Ne comptez pas de tirer un schelling de votre famille, s’il ne leur est arraché. Persuadés, comme ils sont, que vous êtes partie volontairement, ils paroissent surpris, et tout à la fois fort satisfaits, que vous ayiez laissé derrière vous vos bijoux et votre argent, et que vous n’ayiez pas pris de meilleures mesures pour vos habits. Concluez-en qu’ils répondront mal à votre demande. Vous avez raison de croire que tous ceux qui ne sont pas aussi bien instruits que moi, doivent être embarrassés à juger de votre fuite. Ils ne donnent point d’autre nom à votre départ. Et dans quel sens, ma chère, pourrait-il être pris un peu favorablement pour vous ? Dire que votre intention n’ait pas été de partir, lorsque vous vous êtes trouvée au rendez-vous ; qui se le persuadera jamais ? Dire qu’un esprit aussi ferme que le vôtre ait été persuadé, contre ses propres lumières, au moment de l’entrevue ; quelle apparence de vérité ? Dire que vous ayiez été trompée, forcée par la ruse ; le dire, et trouver de la disposition à le croire ; comment cette excuse s’accordera-t-elle avec votre réputation ? Et demeurer avec lui sans être mariée, avec un homme d’un caractère si connu ; où cette idée ne conduit-elle pas la censure du public ? Mon impatience est extrême de savoir quel tour vous avez donné à tout cela dans la lettre que vous venez d’écrire pour vos habits. Aulieu de satisfaire à votre demande, vous pouvez compter, je le répète, qu’ils s’efforceront, dans leur dépit, de vous causer tous les chagrins et toutes les mortifications qu’ils pourront s’imaginer. Ainsi ne faites pas difficulté d’accepter le secours que je vous offre. Que ferez-vous avec sept guinées ? Je trouverai aussi le moyen de vous envoyer quelques-uns de mes habits, et du linge pour les nécessités présentes. Je me flatte, ma très-chère Miss Harlove, que vous ne mettrez pas votre Anne Howe sur le pied de Lovelace, en refusant d’accepter mes offres. Si vous ne m’obligez pas dans cette occasion, je serai portée à croire que vous aimez mieux lui être redevable qu’à moi ; et j’aurai de l’embarras à concilier ce sentiment avec votre délicatesse sur d’autres points. Informez-moi soigneusement de tout ce qui se passe entre vous et lui.