Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/421

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Cependant, si je ne puis engager M Lovelace à s’éloigner, quels termes de réconciliation proposer à mes amis ? S’il me quitte, et qu’ils emploient la force pour se saisir de moi, comme vous êtes persuadée qu’ils le feraient s’ils le craignaient moins, leurs plus sévères traitemens, leurs plus rigoureuses contraintes ne seront-elles pas justifiées par ma fuite ? Et tandis qu’il est avec moi, tandis que je le vois, comme vous l’observez, sans être mariée, à quelle censure ne suis-je pas exposée ? Quoi ! Pour sauver les malheureux restes de ma réputation aux yeux du public, il faudra donc que j’observe les favorables dispositions de cet homme-là ? Je vous rendrai compte, aussi exactement que vous le souhaitez, de tout ce qui se passe entre nous. Jusqu’à présent je n’ai rien remarqué dans sa conduite qui mérite beaucoup de reproche. Cependant je ne saurais dire que le respect qu’il me marque, soit un respect aisé, libre, naturel ; quoiqu’il ne me soit pas plus facile d’expliquer ce qui lui manque. Il y a sans doute un fond d’arrogance et de présomption dans son caractère. Il n’est pas même aussi poli qu’on pourrait l’attendre de sa naissance, de son éducation et de ses autres avantages. En un mot, ses manières sont celles d’un homme, qui a toujours été trop accoutumé à suivre sa propre volonté, pour se faire une étude de s’accomoder à celle d’autrui. Vous me conseillez de lui donner quelques marques de confiance. Je serai toujours disposée à suivre vos avis, et à lui accorder ce qu’il méritera. Mais, trompée, comme je soupçonne de l’avoir été par ses ruses, non-seulement malgré mes résolutions, mais même contre mon penchant, doit-il s’attendre, ou peut-on espérer pour lui, que je le traite si tôt avec autant de complaisance que si je me reconnaissais obligée à son zèle, pour m’avoir enlevée ? Ce serait lui donner lieu de penser que j’ai usé de dissimulation avant mon départ, ou que j’en use depuis. Ah ! Ma chère, je m’arracherais volontiers les cheveux, lorsque, relisant l’article de votre lettre où vous parlez de ce fatal mercredi, que j’ai redouté peut-être plus que je ne le devais, je considère que j’ai été le jouet d’un vil artifice, et vraisemblablement par le ministère de ce misérable Léman ! Quelle noirceur dans leur méchanceté ! Et que cet odieux attentat doit avoir été médité à loisir ! Ne serait-ce pas me trahir moi-même, que de manquer de vigilance avec un homme de ce caractère ? Cependant quelle vie pour un esprit aussi ouvert, aussi naturellement éloigné du soupçon, que le mien ! Je dois les plus vifs remerciemens à M Hickman, pour l’assistance obligeante qu’il veut bien prêter à notre commerce. Il y a si peu d’apparence qu’il ait besoin de cette occasion pour augmenter ses progrès dans le cœur de la fille, que je serais extrêmement fâchée qu’elle pût lui devenir nuisible dans l’esprit de la mère. Je suis dans un état de dépendance et d’obligation. Ainsi je dois demeurer contente de tout ce que je ne saurais empêcher. Que n’ai-je le pouvoir d’obliger ? Ce pouvoir autrefois si précieux pour moi ! Ce que je veux dire, ma chère, c’est que mon indiscrétion doit avoir diminué l’influence que j’avais sur vous. Cependant, je ne veux pas m’abandonner moi-même, ni renoncer au droit que vous m’aviez accordé, de vous dire ce que je pense de votre conduite sur les points que je ne saurais approuver. Permettez donc que, malgré la rigueur de votre mère pour une infortunée