Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/423

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je joins ici la clé. Je vous prie de m’envoyer aussi mes livres de morale, et quelques mélanges, qui sont dans la seconde tablette de ma petite bibliothèque. On y ajoutera mes diamans, si l’on juge à propos de m’accorder cette grâce. L’adresse, sous mon nom, chez M Osgood, place de Soho, à Londres.

M Lovelace à M Belford. Quantité de gens, qui s’assemblèrent autour de nous, semblaient marquer, par leur visage alongé et par leurs regards immobiles, l’étonnement où ils étoient de voir une jeune personne, d’une figure charmante et de l’air le plus majestueux, arriver, sans autre compagnie que la mienne, d’un voyage qui avait fait fumer les chevaux et suer les valets. J’observai leur curiosité et l’embarras de ma déesse. Elle jeta un coup-d’œil autour d’elle, avec les marques d’une douce confusion ; et, quittant ma main assez brusquement, elle se hâta d’entrer dans l’hôtellerie. Ovide n’entendait pas mieux que ton ami l’art des métamorphoses. Sur le champ, je la transformai aux yeux de l’hôtesse, en une petite sœur, aussi chagrine qu’aimable, que je ramenais, malgré elle et par surprise, de la maison d’un parent, où elle avait passé l’hiver, pour l’empêcher de se marier à un damnable libertin (j’approche toujours de la vérité autant que je puis), que son père, sa mère, sa sœur aînée, et tous ses chers oncles, ses tantes et ses cousines, avoient en horreur. Cette fable expliquait tout à la fois la mauvaise humeur de ma belle, son dépit contre moi, s’il durait encore, et son habillement, qui n’était pas propre au voyage ; sans compter que c’était lui donner fort à propos une juste assurance de mes vues honorables. Elle ajouta quantité de choses, encore plus mortifiantes. Je l’écoutai en silence. Mais lorsque mon tour fut venu, je plaidai, je raisonnai, je m’efforçai de lui répondre ; et m’appercevant que l’humilité ne suffisait pas, j’élevai la voix, et je fis briller dans mes yeux un air de colère, dans l’espérance de tirer avantage de cette douce poltronnerie qui a tant de charmes dans ce sexe, (quoiqu’elle ne soit souvent qu’une affectation), et qui avait peut-être servi, plus que tout le reste, à me faire triompher de cette fière beauté. Cependant elle n’en parut pas intimidée. Je la vis prête elle-même à s’emporter beaucoup, comme si ma réponse n’eût servi qu’à l’irriter. Mais lorsqu’un homme est aux mains avec une femme sur des affaires de