Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/424

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cette nature, quelque ressentiment qu’elle affecte, il aurait peu d’habileté, s’il ne trouvait pas le moyen de l’arrêter. Se ressent-elle trop vivement de quelque impression hardie, il en sera quitte pour deux ou trois autres hardiesses, qu’il doit prononcer avec la même fermeté ; sauf à les adoucir ensuite par des interprétations favorables. J’en conviens, ma précieuse, et vous deviez ajouter que j’ai eu des difficultés innombrables à combattre. Mais vous pourrez souhaiter quelque jour de ne vous en être pas vantée : et peut-être regretterez-vous aussi tant de jolis dédains ; tels que de m’avoir assuré " que ce n’est point en ma faveur que vous rejetez Solmes ; que ma gloire, si je m’en fais une de vous avoir emmenée, tourne à votre honte ; que j’ai plus de mérite à mes propres yeux qu’aux vôtres ou à ceux de tout autre ; (quel fat elle fait de moi, Belford) ! Que vous souhaiteriez de vous revoir dans la maison de votre père, quelles qu’en pussent être les suites… ". Si je te pardonne ces réflexions, ma charmante, ces souhaits, ces mépris, je ne serai pas le Lovelace que j’ai la réputation d’être, et que ce traitement me fait juger que tu me crois toi-même. En un mot, son air et ses regards, pendant toute cette dispute, marquaient une espèce d’indignation majestueuse, qui semblait venir de l’opinion de sa supériorité sur l’homme qu’elle avait devant elle. Tu m’as souvent entendu badiner sur la pitoyable figure que doit faire un mari, lorsque sa femme croit avoir, ou qu’elle a réellement, plus de sens que lui. Je pourrais t’apporter mille raisons qui ne me permettent pas de penser à prendre Clarisse Harlove pour ma femme, du moins sans être sûr qu’elle ait pour moi cet amour de préférence que je dois attendre d’elle en l’épousant. Tu vois que je commence à chanceler dans mes résolutions ; ennemi, comme je l’ai toujours été, des entraves du mariage, que je retombe aisément dans mon ancien préjugé. Puisse le ciel me donner le courage d’être honnête ! Voilà une prière, Belford. Si malheureusement elle n’est pas écoutée, l’aventure sera fâcheuse pour la plus admirable de toutes les femmes. Mais, comme il ne m’arrive pas souvent d’importuner le ciel par mes prières, qui sait si celle-ci ne sera point exaucée ? Pour ne rien dissimuler, je suis charmé des difficultés que j’envisage, et de la carrière qui s’ouvre devant moi pour l’intrigue et le stratagême. Est-ce ma faute, si mes talens naturels sont tournés de ce côté-là ? Conçois-tu d’ailleurs quel triomphe j’obtiens sur tout le sexe, si j’ai le bonheur d’en subjuguer l’ornement ? Ne te souviens-tu pas de mon vœu ? Ce sont les femmes, tu le sais, qui ont commencé avec moi. Celle-ci m’épargne-t-elle ? Crois-tu, Belford, que j’eusse fait quartier au bouton de rose, si j’avais été bravé avec les mêmes hauteurs ? Sa grand-mère me demanda grâce. Il n’y a que l’opposition et la résistance qui m’irritent. Pourquoi cette adorable personne emploie-t-elle tant de soins à me convaincre de sa froideur ? Pourquoi son orgueil entreprend-t-il d’humilier le mien ? Tu as vu, dans ma dernière lettre, avec quel mépris elle me traite. Cependant que n’ai-je pas souffert pour elle, et que n’ai-je pas même souffert