Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/430

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de notre hôtesse, qui se nomme Madame Sorlings. Je ne leur ai marqué jusqu’à présent qu’une simple admiration. Que ce sexe est avide de louanges ! La plus jeune, que j’ai vue travailler à la laiterie, m’a causé tant de satisfaction par sa propreté et son adresse, que j’ai cédé à la tentation de lui donner un baiser. Elle m’a remercié de ma bonté , par une profonde révérence, elle a rougi, et je me suis aperçu, à d’autres marques de son embarras, qu’elle ne manque pas plus de sensibilité que d’agrémens. Sa sœur étant survenue, l’impression de ce qui s’était passé l’a fait rougir encore, avec tant de confusion, que je me suis cru obligé de faire une excuse pour elle. Mademoiselle Kitty, ai-je dit à son aînée, j’ai pris tant de plaisir à voir votre laiterie si propre, que je n’ai pu m’empêcher de dérober un baiser à votre sœur. Vous avez votre part au mérite, j’en suis sûr ; ainsi vous m’accorderez, s’il vous plaît, la même grâce. Les bons naturels ! Elles me plaisent toutes deux. L’aînée m’a fait une révérence comme sa sœur. J’aime les caractères reconnaissans. Pourquoi ma Clarisse n’a-t-elle pas la moitié de cette humeur obligeante ? Je pense à prendre une de ces deux filles pour servir ma charmante à son départ. La mère fait un peu l’importante ; mais je lui conseille de ne pas trop affecter ces airs-là. Si je m’appercevais que les difficultés vinssent de quelque soupçon, je serais capable de mettre une de ses filles, ou peut-être toutes deux, à l’épreuve. Passe-moi un peu de rodomontade, mon cher Belford. Mais réellement mon cœur est fixé. Je ne puis penser, dans la nature, qu’à mon adorable Clarisse.



M Lovelace au même.

c’est aujourd’hui mercredi, ce jour terrible où j’étais menacé de perdre pour jamais l’unique objet de mon affection. Quel est mon triomphe ! Avec quelle satisfaction et quel air de tranquillité vois-je mes ennemis humiliés, et mordant leur frein au château d’Harlove ! Après tout, c’est peut-être un bonheur pour eux qu’elle leur soit échappée par la fuite. Qui sait de quoi ils étoient menacés, si j’étais entré dans le jardin avec elle ; ou si, ne la trouvant point au rendez-vous, j’avais exécuté le projet de ma visite, suivi de mes redoutables thessaliens ? Mais supposons que je fusse entré avec elle, sans autre escorte que mon courage ; je m’imagine qu’il y aurait eu peu de danger pour moi. Tu sais que les esprits de la trempe des Harloves, qui sont délicats sur la réputation, et qui se contiennent par politique dans les bornes des loix, peuvent être comparés aux araignées, qu’on voit fuir dans leur trou lorsqu’ils sentent remuer un de leurs filets par un doigt puissant, et qui abandonnent toutes leurs toiles à des ennemis qu’elles redoutent ; aulieu que, s’il y tombe une sotte mouche qui n’a ni la force ni le courage de se défendre, elles accourent audacieusement, elles tournent autour du pauvre insecte, elles l’engagent dans leurs liens ; et lorsqu’il n’est plus en état de remuer les jambes ni les aîles, elles triomphent de leur avantage ; et tantôt s’avançant sur lui, tantôt se retirant, elles le dévorent à loisir. Que dis-tu de cette comparaison ? Mais, attends, Belford ; il me semble qu’elle ne conviendrait pas mal, non plus, aux filles qui se laissent prendre dans nos piéges. Mieux encore, sur ma foi. L’araignée représente