Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/440

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A-t-elle été capable d’erreur ? L’a-t-elle été d’y persister ? N’importe, qui était le tentateur, ou quelle était la tentation. C’est le fait, c’est l’erreur qui est maintenant devant nous. A-t-elle persisté contre la défense de son père ? C’est un reproche qu’elle se fait. Jamais une fille, néanmoins, eût-elle de plus hautes idées du devoir filial et de l’autorité paternelle ? Non, jamais. Quels doivent donc avoir été les motifs qui ont eu plus de force que le devoir sur une fille si respectueuse ? Qu’en ai-je dû penser dans le tems ? Quelles espérances en ai-je dû concevoir ? On dira que sa principale vue était de prévenir des accidens redoutables, entre ses proches et l’homme qu’ils insultaient de concert. Fort bien : mais pourquoi prenait-elle plus d’intérêt à la sûreté des autres, qu’ils n’y en prenaient eux-mêmes ? D’ailleurs, la fameuse rencontre n’était-elle pas arrivée ? Une personne de vertu devait-elle connaître des raisons assez fortes pour la faire passer sur un devoir évident ; sur-tout lorsqu’il n’était question que de prévenir un mal incertain ? Je crois t’entendre encore : quoi, Lovelace ! C’est le tentateur qui devient aujourd’hui l’accusateur ? Non, mon ami ; je n’accuse personne. Je ne fais que raisonner avec moi-même ; et dans le fond de mon cœur, je justifie et je révère cette fille divine. Mais laisse-moi chercher néanmoins si c’est à la vérité qu’elle doit sa justification, ou à ma foiblesse , qui est le véritable nom de l’amour. Lui supposerons-nous un autre motif ? Ce sera, si tu veux, l’amour : motif que tout l’univers jugera excusable ; non parce qu’il le pense, pour te le dire en passant, mais parce que tout l’univers sent qu’il peut être égaré par cette fatale passion. Que ce soit donc l’amour. Mais l’amour de qui ? D’un Lovelace, me réponds-tu. N’y a-t-il qu’un Lovelace au monde ? Combien de Lovelaces peuvent avoir senti l’impression d’une si charmante figure et de tant d’admirables qualités ! C’est sa réputation qui a commencé ma défaite ; c’est sa beauté et l’excellence de son esprit qui ont rivé mes chaînes. Aujourd’hui, ce sont toutes ces forces ensembles qui forment un lien comme invincible, et qui me la font juger digne de mes attaques, digne de toute mon ambition. Mais a-t-elle eu la bonne foi, la candeur, de reconnaître cet amour ? Elle ne l’a pas eue. S’il est donc vrai qu’il se trouve de l’amour au fond, n’y a-t-il pas avec lui quelque vice caché sous son ombre ? De l’affectation, par exemple ? Ou, si tu veux, de l’orgueil ? Que résulte-t-il ? La divine Clarisse serait donc capable d’aimer un homme qu’elle ne doit pas aimer. Elle serait donc capable d’affectation. Sa vertu n’aurait donc que l’orgueil pour fondement ; et, s’il y a de la vérité dans ces trois suppositions, la divine Clarisse ne serait donc qu’une femme ! Comment peut-elle amuser un amant tel que le sien ; le faire trembler, lui qui s’est fait une habitude de triompher des autres femmes ; le faire douter si elle a de l’amour pour lui, ou pour quelque homme au monde ; et n’avoir pas eu sur elle-même un juste empire, dans des occasions qu’elle croit de la plus haute importance pour son honneur ? (tu vois, Belford, que je la juge par ses propres idées). Mais s’être laissé piquer par l’injustice d’autrui, jusqu’à promettre d’abandonner la maison de son