Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/442

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étrange que je n’en aie pas encore trouvé une qui ait tenu ferme plus d’un mois, ou assez long-temps pour épuiser mon invention. J’en ai tiré des conclusions fâcheuses ; et si je n’en découvre aucune dont la vertu soit incorruptible, tu vois que je serai en état de prêter serment contre tout le sexe. Toutes les femmes sont donc intéressées à l’épreuve que je médite. Quelle est celle qui, connaissant Clarisse, ne mît pas volontiers sur sa tête l’honneur de toute l’espèce ? Que celle qui le refuserait s’avance, et soutienne l’engagement à sa place. Je t’assure, cher ami, que j’ai des idées prodigieusement hautes de la vertu comme de toutes les graces et les perfections auxquelles je n’ai pas été capable de parvenir. Tous les libertins n’en diraient pas autant. Ils craindraient de se condamner eux-mêmes, en approuvant ce qu’ils négligent. Mais l’ingénuité a toujours fait une éclatante partie de mon caractère. Satan, qui a bonne part, comme tu peux croire, au dessein que j’ai formé, mit notre premier père à de rudes épreuves ; et c’est à la conduite que ce bon-homme tint dans ces occasions, qu’il a dû la réparation de son honneur, et les récompenses qui sont venues à la suite. Une personne innocente, qui a le malheur d’être soupçonnée, ne doit-elle pas souhaiter que tous les doutes soient éclaircis ? Renaud, dans l’ Arioste , éloigna de lui la coupe du chevalier Mantouan, sans vouloir tenter l’expérience. L’auteur lui prête de fort bonnes raisons : " pourquoi chercherais-je ce que je serais au désespoir de trouver ? Ma femme est d’un sexe fragile. Je ne puis avoir meilleure opinion d’elle. Si je trouve des raisons de l’estimer moins, la disgrâce sera pour moi-même ". Mais Renaud n’eût pas refusé de mettre la dame à l’épreuve, avant qu’elle eût été sa femme, et lorsqu’il aurait pu tirer avantage de ses lumières. Pour moi, je n’aurais pas rejeté la coupe, quoique marié ; n’eût-ce été que pour me confirmer la bonne opinion que j’aurais eue de l’honnêteté de ma chère moitié. J’aurais voulu savoir si j’avais une colombe ou un serpent dans mon sein. En un mot, que penser d’une vertu qui redouterait les épreuves, et par conséquent d’une femme qui voudrait les éviter ? Je conclus que, pour établir parfaitement l’honneur d’une si excellente créature, il est nécessaire qu’elle soit éprouvée ; et par qui, si ce n’est par celui qu’elle accuse de l’avoir déjà fait mollir sur des points de moindre importance ? Son propre intérêt le demande ; non-seulement parce qu’il a déjà fait quelque impression sur elle, mais encore parce que le regret qu’elle en a, doit faire présumer qu’elle sera plus en garde contre de nouvelles attaques. Il faut convenir que sa situation présente est un peu à son désavantage ; mais la victoire lui en sera plus glorieuse. Ajoutons qu’une seule épreuve ne suffirait pas : pourquoi ? Parce que le cœur d’une femme peut être d’airain dans un moment, et de cire dans l’autre. Je l’ai vérifié mille fois, et toi sans doute aussi. Les femmes, diras-tu, ne passeraient pas mal leur tems, si tous les hommes s’avisaient de les mettre à l’épreuve. Mais, Belford, ce n’est pas mon avis non plus. Quoique libertin, je ne suis pas ami du libertinage dans autrui, excepté