Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/447

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il n’est pas possible qu’il me donne sujet de craindre de lui tant de noirceur et si peu de générosité. Vous ne voulez pas que je m’afflige des petits différends qui s’élèvent entre votre mère et vous. Puis-je n’en être pas fort touchée, lorsqu’ils s’élèvent à mon occasion ? N’est-ce pas un surcroît de douleur qu’ils soient suscités par mon oncle et par mes autres parens ? Mais souffrez que j’observe, avec trop d’affectation peut-être pour les circonstances où je suis, que les plaintes modestes que vous faites de votre mère tournent clairement contre vous. Ce langage qui vous chagrine, je le veux, je l’ordonne, je prétends être obéie, ne marque-t-il pas que vous vous révoltez contre ses volontés ? J’observerai encore, par rapport à notre correspondance, qui vous paraît sans danger avec une personne de votre sexe, que je n’ai pas cru qu’il y en eût davantage dans celle que je me suis permise avec M Lovelace. Mais, si l’obéissance est un devoir, la faute consiste à le violer, quelles que puissent être les circonstances. Ce ne sera jamais une action louable, de s’élever contre la volonté de ceux à qui l’on doit le jour. S’il est vrai, au contraire, qu’elle mérite d’être punie, vous voyez que je le suis sévèrement ; et c’est sur quoi j’ai voulu vous faire ouvrir les yeux par mon exemple. Cependant j’en demande pardon au ciel ; mais il m’en coûte beaucoup pour vous donner un avis si contraire à mes intérêts : et de bonne foi, je n’ai pas la force de le suivre moi-même. Mais, s’il n’arrive point de changement dans mon sort, je ferai là-dessus de nouvelles réflexions. Vous me donnez de fort bons conseils sur la conduite que je dois tenir avec mon oncle ; et j’essayerai peut-être de m’y conformer : à l’exception de la politique , qui ne sera jamais, ma très-chère Miss Howe, le caractère ni le rôle de votre sincère et fidèle amie. Cl Harlove.



Miss Clarisse Harlove à Miss Howe.

vous ne sauriez douter, ma chère Miss Howe, que les circonstances de ma fuite, et les cris affectés que j’entendis à la porte du jardin, ne m’aient laissé d’étranges inquiétudes. Combien n’ai-je pas frémi de la seule pensée d’être entre les mains d’un homme qui aurait été capable de me tromper lâchement par un artifice prémédité ? Chaque fois qu’il s’est présenté à mes yeux, mon indignation s’est réveillée avec cette idée ; d’autant plus que j’ai cru remarquer sur son visage une sorte de triomphe qui me reprochait ma crédulité et ma foiblesse. Peut-être n’est-ce au fond que la même vivacité et le même air d’enjouement qu’il porte naturellement dans sa physionomie. J’étais résolue de m’expliquer avec lui sur cet important article, la première fois que je me sentirais assez de patience pour lui en parler avec modération ; car, outre la nature de l’artifice, qui me piquait excessivement d’elle-même, je m’attendais, s’il était coupable, à des excuses et des évasions qui devaient m’irriter encore plus ; et s’il désavouait mes soupçons, je prévoyais que son désaveu me laisserait des doutes qui nourriraient mon inquiétude, et qui augmenteraient mes dégoûts et mes ressentimens à la moindre offense.