Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/448

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L’occasion que je désirais s’est présentée, et je ne veux pas différer un moment à vous informer de ce qu’elle a produit. Il était à me faire sa cour, dans les termes les plus polis ; déplorant le malheur qu’il avait, disait-il, d’être moins avancé que jamais dans mon estime, sans savoir à quoi il devait attribuer cette disgrâce ; et m’accusant de je ne sais quel préjugé, ou d’un fond d’indifférence, que son chagrin était de voir croître de jour en jour. Enfin, il me suppliait de lui ouvrir mon cœur, pour lui donner l’occasion de reconnaître ses fautes et de les corriger ; ou celle de justifier sa conduite, et de mériter un peu plus de part à ma confiance. Je lui ai répondu assez vivement : eh ! Bien, M Lovelace, je vais m’ouvrir avec une franchise qui convient peut-être à mon caractère plus qu’au vôtre (il se flattait que non, m’a-t-il dit), et vous déclarer un soupçon qui me donne fort mauvaise opinion de vous, parce qu’il m’oblige de vous regarder comme un homme artificieux, dont les desseins doivent m’inspirer de la défiance. J’écoute, mademoiselle, avec la plus vive attention. Il m’est impossible de penser favorablement de vous, aussi long-temps que la voix qui s’est fait entendre du jardin, et qui m’a remplie d’une terreur dont vous avez tiré tant d’avantage, demeure sans explication. Apprenez-moi nettement, apprenez-moi sincérement le fond de cette circonstance, et celui de vos intrigues avec ce vil Joseph Léman. La bonne foi que vous aurez sur ce point sera ma règle, à l’avenir, pour juger de vos protestations. Comptez, très-chère Clarisse, m’a-t-il répondu, que je vais vous expliquer tout, sans le moindre déguisement. J’espère que la sincérité de mon récit expiera ce que vous pourrez trouver d’offensant dans l’action. " je ne connaissais pas ce Léman, et j’aurais dédaigné l’infâme méthode de corrompre les domestiques d’autrui, pour découvrir les secrets d’une famille, si je n’avais pas été informé qu’il s’efforçait d’engager un de mes gens à lui rendre compte de tous mes mouvemens et de toutes mes intrigues supposées, en un mot, de toutes les actions de ma vie privée. Ses motifs ne demandaient pas d’éclaircissement. J’ordonnai à mon valet-de-chambre, car c’était à lui-même que les offres étoient adressées, de me faire entendre la première conversation qu’il aurait avec lui ; et, prenant le moment où j’entendis proposer une somme assez considérable pour une information qu’on demandait particuliérement, avec promesse d’une récompense encore plus forte après le service, je me présentai brusquement, j’affectai de faire beaucoup de bruit ; et, demandant un couteau pour couper les oreilles du traître, dont je tenais déjà l’une, dans la vue, lui dis-je, d’en faire un présent à ceux qui l’employaient, je le forçai de m’apprendre leur nom. Votre frère, mademoiselle, et votre oncle Antonin, furent les deux personnes qu’il nomma. Il ne me fut pas difficile, après lui avoir fait grâce, en lui représentant l’énormité de son entreprise et mes honorables intentions, de l’engager dans mes intérêts par l’espoir d’une grosse récompense, sur-tout lorsque je lui eus fait concevoir qu’il pouvait conserver en même temps la faveur de votre frère et de votre oncle, et que je ne désirais ses services que par rapport à vous et à moi, pour nous garantir des effets d’une