Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/45

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Monsieur ! Faites-moi la grace de m’écouter. Je crains bien que mon frère et ma sœur… gardez-vous, petite fille, de parler contre votre frère et votre sœur. Ils ont à cœur, comme ils le doivent, l’honneur de ma famille.

Et j’espère, monsieur… n’espérez rien. Ne me parlez point d’espérances, mais de réalités. Je n’exige rien de vous que vous ne puissiez accomplir, et que votre devoir ne vous oblige d’accomplir.

Eh bien, monsieur, je l’accomplirai. Mais j’espère néanmoins de votre bonté… point de plaintes. Point de mais , petite fille ; point de retranchemens. Je veux être obéi, et de bonne grace, ou je vous renonce pour ma fille.

Je me suis mise à pleurer. Je me suis jetée à ses genoux. Souffrez que je vous conjure, mon très-cher et très-honoré père, de ne me pas donner d’autre maître que vous et ma mère. Que je ne sois pas forcée d’obéir aux volontés de mon frère… j’allais continuer, mais il est sorti. Il m’a laissée dans la posture où j’étais, en disant qu’il ne voulait pas m’entendre chercher, par subtilité et par adresse, à mettre des distinctions dans mon devoir, et répétant qu’il voulait être obéi. J’ai le cœur trop plein, si plein, ma chère, que je ne puis le décharger ici sans mettre mon devoir en danger. J’aime mieux quitter la plume… cependant j’ai peine… mais absolument je quitte la plume.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

26 février au matin.

Ma tante, qui a passé ici la nuit, m’a fait une visite ce matin dès la pointe du jour. Elle m’a dit qu’on m’avait laissée hier exprès avec mon père, pour lui donner la liberté de me déclarer qu’il s’attend à l’obéissance ; mais qu’il convenait de s’être emporté au-delà de son dessein, en se rappelant quelque chose que mon frère lui avait dit à mon désavantage, et par son impatience à supposer seulement qu’un esprit aussi doux que je l’avais paru jusqu’aujourd’hui, entreprît de disputer ses volontés, sur un point où ma complaisance devait être d’un si grand avantage pour toute la famille.

Je comprends, par quelques mots qui sont échappés à ma tante, qu’ils comptent entièrement sur la flexibilité de mon caractère. Mais ils pourraient bien se tromper ; car, en m’examinant moi-même avec beaucoup de soin, je pense réellement que je tiens autant de la famille de mon père, que de celle de ma mère. Mon oncle Jules n’est pas d’avis, à ce qu’il semble, qu’on me pousse à l’extrémité. Mais son neveu, que je ne dois pas trop nommer mon frère, engage sa parole, que les égards que j’ai pour ma réputation et pour mes principes, m’amèneront rondement au devoir ; c’est son expression. Peut-être aurais-je raison de souhaiter qu’on ne m’eût point informée de cette circonstance. Le conseil de ma tante est que je dois me soumettre, pour le présent, à la défense qu’on m’a signifiée, et recevoir les soins de M. Solmes. J’ai refusé absolument le dernier de ces deux points au hasard, lui ai-je dit, de toutes les