Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/451

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que sa seule frayeur l’avait fait crier. Mais bientôt, ajoutait-il, plusieurs personnes de la maison avoient pris l’alarme ; et les recherches étoient commencées à son retour ". J’ai branlé la tête après cette lecture. Ruses, ruses, ai-je dit ; c’est ce que je puis penser de plus favorable. Ah, Monsieur Lovelace ! Que le ciel vous pardonne, et qu’il aide à votre réformation ! Mais je ne vois que trop, par votre propre récit, que vous êtes un homme rempli d’artifice. " l’amour, ma très-chère vie, est une ingénieuse passion. Nuit et jour j’ai mis ma stupide cervelle à la torture (quelle stupidité ! Ai-je dit en moi-même) pour trouver le moyen de prévenir un odieux sacrifice, et tous les malheurs qui seraient venus à la suite. Si peu d’assurance de votre affection ! Une antipathie si injuste de la part de vos amis ! Un danger si pressant de vous perdre par cette double raison ! Je n’avais pas fermé l’œil depuis quinze jours ; et je vous avoue, mademoiselle, que, si j’avais négligé quelque chose pour empêcher votre retour au château, je ne me le serais pardonné de ma vie ". Je suis revenue à me blâmer moi-même d’avoir consenti à le voir : et mes remords sont justes ; car, sans cette malheureuse entrevue, toutes ses méditations de quinze jours ne lui auraient servi de rien ; et peut-être n’en serais-je pas moins échappée à M Solmes. Cependant s’il eût exécuté la résolution de se présenter à ma famille, et s’il en eût reçu quelque insulte, comme il n’aurait pas manqué d’en recevoir, à quels désastres ne fallait-il pas s’attendre ? Mais que penser de ce dessein formé d’enlever le pauvre Solmes, et de le tenir prisonnier pendant deux mois ? ô ma chère ! à quel homme ai-je permis de m’enlever, aulieu de Solmes ? Je lui ai demandé s’il croyait que des énormités de cette nature, et cette audace à braver les loix de la société, pussent demeurer impunies ? Il n’a pas fait difficulté de me dire, avec un de ces airs enjoués que vous lui connaissez, qu’il n’avait vu que ce moyen pour arrêter la malice de ses ennemis, et pour me garantir d’un mariage forcé ; que ces entreprises désespérées lui causaient peu de plaisir, et qu’il n’aurait fait aucun mal à la personne de Solmes ; qu’il se serait exposé sans doute à la nécessité de quitter son pays, du moins pour quelques années ; mais que s’il avait été réduit à l’exil, parti d’ailleurs qu’il aurait embrassé volontairement après avoir perdu l’espérance d’obtenir mon cœur, il se serait procuré un compagnon de voyage, de son sexe et de ma famille, auquel je ne pensais guère. A-t-on jamais rien vu d’approchant ? Je ne puis douter qu’il ne parlât de mon frère ! Voila donc, monsieur, lui ai-je dit avec les marques d’un vif ressentiment, l’usage que vous faites de votre agent corrompu… mon agent, mademoiselle ! Il est celui de votre frère comme le mien. Vous savez, par mes aveux sincères, qui a commencé la corruption. Je vous assure, mademoiselle, que je me suis échappé à bien des choses, en qualité de représailles dont je n’aurais pas été capable de donner l’exemple.