Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/459

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’on ne l’interprêtera point autrement. J’offre d’y recevoir les ordres de mon père, soit pour ma conduite, soit pour la forme de mon domestique, et pour les moindres circonstances qui pourront lui prouver ma soumission. Si l’on permet que ma tante m’accorde la faveur de quelques lignes, elle apprendra de ma sœur où sa réponse doit m’être adressée. Je ne marque pas moins d’empressement, dans cette lettre, que dans celle que j’ai écrite à ma sœur, pour me procurer une prompte réconciliation, qui puisse m’empêcher d’être précipitée plus loin. " un peu de douceur, lui dis-je, peut encore faire passer ce malheureux événement pour une simple mésintelligence : mais le délai la rendrait également honteuse pour eux et pour moi. J’appelle à elle de la nécessité où la violence d’autrui m’a réduite ".



M Lovelace à M Belford.

vendredi, 14 avril. Tu m’as souvent reproché ma vanité, Belford, sans distinguer l’agrément qui l’accompagne, et qui te force à m’admirer, dans le temps même que tu m’en dérobes le mérite. L’envie te rend incapable de distinguer. La nature t’inspire de l’admiration, sans que tu saches comment. Tu es un mortel trop épais et d’une vue trop bornée, pour te rendre jamais compte à toi-même de l’instinct qui te fait mouvoir. Fort bien, crois-je t’entendre dire ; mais, Lovelace, tu ne te purges pas du reproche de vanité. Il est vrai, cher ami ; et tu peux ajouter que j’en ai une dose abominable. Mais si l’on ne passe pas la vanité aux gens de mérite, à qui sera-t-elle pardonnable ? Cependant il est vrai aussi que, de tous les hommes, ils sont ceux qui ont le moins occasion d’en avoir ; parce qu’étant en fort petit nombre, on les reconnaît facilement à leur marque, et qu’on est disposé à les exalter. Un sot, à qui l’on peut faire comprendre qu’un autre a plus de capacité que lui, conclut assez volontiers qu’un tel homme doit être un sujet fort extraordinaire. à ce compte, quelle est la conclusion générale qu’il faut tirer des choses susdites ? C’est, sans doute, que personne ne doit être vain. Mais que dire de ceux qui ne peuvent s’en empêcher ? Peut-être suis-je dans le cas. Rien ne me donne une plus haute idée de moi-même, que la fécondité de mes inventions ; et, pour la vie, je ne puis prendre sur moi de cacher ce sentiment. Cependant il pourrait bien servir à me perdre dans l’esprit de ma pénétrante déesse. Je m’aperçois qu’elle me craint. Je me suis étudié, devant elle et devant Miss Howe, chaque fois que je les ai vues, à passer pour une tête légère et sans réflexion. Quelle folie donc, d’avoir été si sincère dans mes explications sur le bruit du jardin ? Oui ; mais le succès de cette invention (le succès, Belford, aveugle les plus grands hommes) a répondu si parfaitement à mon attente, que ma maudite vanité a pris le dessus et m’a fait oublier des précautions. La menace qui regardait Solmes, l’idée d’emmener le frère dans ma fuite, et mon projet de vengeance sur les deux domestiques, ont causé tant d’épouvante à ma belle, que j’ai eu besoin de rappeler toutes les forces de mon esprit, pour me rétablir dans