Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/460

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le sien. Il m’est arrivé, en même tems, quelques nouvelles favorables de l’agent que j’ai dans sa famille, ou du moins quelques nouvelles auxquelles je me suis déterminé à donner un tour favorable. J’ai saisi l’occasion pour demander audience, avant qu’elle ait eu le temps de former des résolutions contre moi ; c’est-à-dire pendant que l’admiration de mon intrépidité, dont je l’avais remplie, tenait ses résolutions en suspens. Dans le dessein qui me conduisait, je m’étais préparé à ne montrer que de la douceur et de la sérénité. Comme il m’est venu par-ci, par-là, dans ma vie, quelques bons mouvemens, je les ai rappelés à ma mémoire (qui n’était pas trop chargée du nombre), pour mettre la chère personne de bonne humeur avec moi. Qui sait, ai-je pensé, s’ils ne tiendront point, et si ma conversion n’est pas plus proche que je ne pense ? Mais, à tout hasard, c’est un fondement jeté pour mon grand systême. L’amour, me suis-je dit, est naturellement ennemi du doute : la crainte ne l’est pas ; je veux essayer de la bannir. Il ne restera donc plus que l’amour. La crédulité est son premier ministre, et jamais on ne voit l’un sans l’autre. à présent, Belford, mon dessein entre-t-il dans ton cerveau de plomb ? Non, j’en suis sûr ; et je suis obligé par conséquent de te l’expliquer. La quitter pour un jour ou deux, dans la vue de la servir par mon absence, ç’eût été lui marquer que je me fiois trop à ses dispositions pour moi. J’avais fait valoir, comme tu sais, la nécessité de ne la pas quitter tandis que j’aurais raison de croire que ses amis pensaient à nous poursuivre ; et je commençais à craindre qu’elle ne me soupçonnât d’abuser de ce prétexte pour ne pas m’éloigner. Mais à présent qu’ils se sont déclarés contre ce dessein, et qu’ils ont publié qu’ils ne la recevraient pas quand elle prendrait le parti de retourner, quelle raison m’empêcherait de lui donner une marque d’obéissance en m’éloignant, sur-tout lorsque je puis laisser auprès d’elle mon valet Will, qui est un homme intelligent, et qui sait tout, excepté lire et écrire, avec le brave Jonas ; celui-ci pour m’être dépêché dans l’occasion par l’autre, à qui je puis donner avis de tous mes mouvemens ? D’ailleurs, je suis bien aise de m’informer s’il ne m’est pas venu des lettres de félicitation de mes tantes et de mes cousines Montaigu, auxquelles je n’ai pas manqué d’écrire pour leur apprendre mon triomphe. Ces lettres, suivant les termes dans lesquels elles seront conçues, pourront me servir utilement dans l’occasion. à l’égard de Windsor, je n’avais aucun dessein qui regardât particulièrement ce lieu, mais il fallait en nommer un, lorsqu’elle me demandait mon avis. Je n’ose parler de Londres, sans beaucoup de précaution, parce que je voudrais que le choix vînt d’elle-même. Il y a, dans les femmes, une perversité, qui les porte à vous demander votre opinion, pour avoir le plaisir de s’y opposer après l’avoir connue, quoique leur choix eût peut-être été le même si ce n’eût pas été le vôtre. Je pourrai former des difficultés contre Windsor, lorsque je lui aurai fait croire que j’en suis revenu. Elles auront d’autant meilleure grace, que, ce lieu étant de ma nomination, ce sera lui faire voir que je n’ai pas de systême arrêté. Jamais