Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/462

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casser la tête au premier passant, si je ne suis pas content de ses regards, comment supporterais-je l’audace d’un paysan qui me parlera son chapeau sur la tête, parce qu’il est revêtu de la qualité de mon créancier ? Je ne m’accoutumerais pas plus à cette humiliation, qu’à celle d’emprunter d’un oncle insolent ou d’une tante curieuse, qui en prendraient droit de se faire rendre compte de ma vie et de mes actions, pour le plaisir d’exercer leur censure. Ma charmante est là-dessus d’une fierté qui ne le cède point à la mienne. Mais elle n’entend pas les distinctions. La pauvre novice ne sait pas encore qu’il n’y a rien de plus noble, rien de plus délicieux pour des amans, que le commerce mutuel des bienfaits. Dans la ferme où je suis, pour te donner un exemple familier, j’ai vu, plus d’une fois, cette remarque vérifiée. Un orgueilleux coquin de coq, dont j’admire souvent la beauté, ne manque point, lorsqu’il a trouvé un grain d’orge, d’appeler autour de lui toutes ses maîtresses. Il prend le grain dans son bec ; il le laisse tomber cinq ou six fois, en continuant son invitation. Ensuite, pendant que deux ou trois de ses belles emplumées se disputent l’honneur de la préférence (un coq, Belford, est le grand-seigneur entre les oiseaux), il dirige vers le grain le bec de la plus avancée ; et, lorsqu’elle l’a pris, il confirme, par des caresses, les marques fières de sa joie. La belle, d’un autre côté, par ses complaisances, fait voir qu’elle n’a pas été appelée seulement pour le grain d’orge, et qu’elle le sait fort bien. Je t’ai dit qu’entre mes propositions, j’ai fait celle de rappeler Hannah, ou de prendre une des filles de la fermière. Devineras-tu mon dessein, Belford ? Je te donne un mois pour le deviner. Mais, comme tu n’es pas grand devin, il faut te le dire simplement. Ne doutant pas qu’aussi-tôt qu’elle se verrait établie, elle ne souhaitât de reprendre cette servante favorite, je l’avais fait chercher, dans le dessein d’employer secrètement quelques ressorts pour empêcher qu’elle ne pût venir. Mais la fortune travaille pour moi. Cette fille est fort mal d’un rhumatisme qui l’a obligée de quitter sa place, et de se confiner dans une chambre. La pauvre Hannah ! Que je la plains ! Ces rhumatismes sont des accidens bien fâcheux pour de si bons domestiques. Cependant, en me réjouissant de l’aventure, j’enverrai un petit présent à cette pauvre malade. Je sais que ma charmante y sera sensible. Ainsi, Belford, feignant d’ignorer la vérité, je l’ai pressée de rappeler son ancienne servante. Elle sait que j’ai toujours eu de la considération pour cette fille, parce que je connais son attachement pour sa maîtresse. Mais je sens augmenter, dans cette occasion, la bonne volonté que j’ai pour elle. Il n’y avait pas plus de risque à proposer une des deux jeunes Sorlings. Si l’une avait consenti à venir, et que la mère l’eût permis (deux difficultés pour une), ce n’eût été que pour en attendre une autre ; et, si je m’étais aperçu que ma charmante s’y fût affectionnée, j’aurais pu facilement lui donner quelque sujet de jalousie, qui m’aurait bientôt délivré de cet obstacle ; ou, à la fille qui aurait quitté sa laiterie, tant de goût pour Londres, qu’elle n’aurait pas eu de meilleure ressource que d’épouser mon valet-de-chambre. Peut-être même lui aurais-je procuré le chapelain de Milord M qui cherche à gagner les bonnes grâces de l’héritier présomptif de son maître. Bénit