Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/463

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soit, diras-tu, le cœur honnête de ton ami Lovelace ! Il pense, comme tu vois, à la satisfaction de tout le monde. Mon rôle est devenu plus difficile, lorsque l’entretien est tombé sur l’article de ma réformation. En protestant que mes résolutions étoient sincères, j’ai répété plusieurs fois que ces changemens ne peuvent être l’ouvrage d’un jour. Peut-on parler de meilleure foi ? Ne reconnais-tu pas mon ingénuité ? L’observation, j’ose le dire, est fondée sur la vérité et la nature. Mais il y entrait aussi un peu de politique. Je ne veux pas que, s’il m’arrive de retourner à mes vieilles pratiques, la belle puisse m’accuser d’une hypocrisie trop grossière. Je lui ai dit même qu’il était à craindre que mes désirs de réformation ne fussent que des accès ; mais que son exemple ne manquerait pas de les faire tourner en habitudes. Au fond, cher Belford, les avis d’une si bonne et si charmante maîtresse ôtent le courage. Je te jure que je suis embarrassé à lever les yeux sur elle ; et, quand j’y pense, si je pouvais l’amener un peu plus elle-même à mon niveau, c’est-à-dire l’engager à quelque chose qui sentît l’imperfection, il y aurait plus d’égalité entre nous, et nous nous entendrions bien mieux. Les consolations seraient mutuelles, et le remords ne serait pas d’un seul côté. Cette divine personne traite les matières sérieuses avec tant d’agrément, et, jusqu’au son de sa voix, tout est si charmant dans son langage, lorsqu’elle touche quelque sujet de son goût, que j’aurais passé une journée entière à l’écouter. Te dirai-je une de mes craintes ? C’est que, si la fragilité de la nature l’emporte en ma faveur, elle ne perde beaucoup de cette élévation et de cette noble confiance qui donne, comme je m’en aperçois, une supériorité visible aux ames honnêtes, sur celles qui le sont moins. Après tout, Belford, je voudrais savoir pourquoi l’on traite d’hypocrites ceux qui mènent une vie libre, telle que la nôtre. C’est un terme que je hais, et que je serais très-offensé qu’on osât m’appliquer. Pour moi, du moins, j’ai de fort bons mouvemens, et peut-être aussi souvent que ceux qui se piquent de vertu. Le mal est qu’ils ne se soutiennent point ; ou, pour m’expliquer encore mieux, que je ne prends pas, comme d’autres, le soin de déguiser mes chutes.



Miss Howe à Miss Clarisse Harlove.

samedi, 15 avril. Quoique assez pressée par le tems, et comme opprimée par la vigilance de ma mère, je veux vous communiquer mes idées, en peu de mots, sur le nouveau rayon de lumière qui semble luire à votre prosélyte. En vérité, je ne sais que penser de cette conversion. Il parle bien ; mais, si l’on en juge par les règles ordinaires, ce n’est qu’un dissimulé, aussi odieux qu’il prétend que les hypocrites et les ingrats le sont pour lui. De bonne foi, ma chère, croyez-vous qu’il eût pu triompher d’autant de femmes qu’on le prétend, si ces deux vices ne lui étoient pas familiers ? Son ingénuité est le seul point qui m’embarrasse. Cependant il est assez rusé, pour savoir que celui qui s’accuse le premier, émousse la pointe des accusations d’autrui. On ne peut disconvenir qu’il n’ait la tête fort bonne. Il y a plus à se