Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/465

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

son principal motif, m’a-t-il dit d’un air précieux, mais (baisant sa main, et se courbant jusqu’à terre) il espérait que l’amitié qui est entre vous et moi ne diminuerait pas le mérite du respect qu’il a réellement pour vous ". Adieu, ma chère. Croyez-moi ce que je serai toujours, c’est-à-dire votre très-fidèle amie. Anne Howe.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

samedi, après-midi. Mon vieux messager n’étant point en bonne santé, j’arrête le vôtre pour le charger de ma réponse. Vous ne fortifiez pas mon courage par vos dernières réflexions. Si ces apparences de réformation ne sont que des apparences, quelles peuvent être ses vues ? Mais un homme est-il capable d’avoir le cœur si bas ? Oserait-il insulter au tout-puissant, ne suis-je pas autorisée à juger plus favorablement de lui par cette triste réflexion, que, dans la dépendance où je suis de son pouvoir, il n’a pas besoin d’un si horrible excès d’hypocrisie, à moins que ses desseins sur moi ne soient de la dernière bassesse ? Il doit être du moins de bonne foi dans le temps qu’il me donne de meilleures espérances. Comment pouvoir en douter ? Vous devez vous joindre à moi dans cette idée, ou vous ne sauriez souhaiter de me voir sous un joug si terrible. Mais, après tout, j’aimerais mieux être indépendante de lui et de sa famille, quoique j’aie une haute opinion de tous ses proches. Je l’aimerais beaucoup mieux ; du moins jusqu’à ce que j’aie vu à quoi les miens se laisseront engager. Sans une raison si forte, il me semble que le meilleur parti serait de me jeter tout d’un coup sous la protection de Miladi Lawrance. Tout serait conduit alors avec décence : et peut-être m’épargnerais-je une infinité de mortifications. Mais aussi, dans cette supposition, il faudrait me regarder comme nécessairement à lui, et passer pour une fille qui brave sa propre famille. Ne dois-je pas attendre quel sera le succès de ma première tentative ? Je le dois sans doute ; et cependant je ne puis en faire aucune avant que d’être établie dans quelque lieu sûr, et séparée de lui. Madame Sorlings m’a communiqué ce matin une lettre qu’elle reçut hier au soir. Elle est de sa sœur Greme, qui, " espérant, dit-elle, que je lui pardonnerai l’excès de son zèle, si sa sœur juge à propos de me faire voir sa lettre, souhaite, pour l’intérêt de la noble famille et pour le mien, que je me détermine à rendre son jeune seigneur heureux ". Ce sont ses termes. Elle fonde son empressement sur la réponse qu’il lui fit hier, en allant à Windsor. Elle avait pris, dit-elle, la liberté de lui demander si le temps des félicitations approchoit. Il lui répondit " que jamais on n’avait eu, pour une femme, plus de tendresse qu’il en avait pour moi ; que jamais une femme n’avait mérité plus d’attachement ; que chaque entretien qu’il avait avec moi, lui donnait de nouveaux sujets d’admiration ; qu’il m’aimait avec une pureté de sentimens dont il ne s’était jamais cru capable ; et qu’il me regardait comme un ange descendu du ciel pour le rappeler de ses égaremens : mais qu’il appréhendait que son bonheur ne fût plus éloigné qu’il ne désirait, et qu’il avait à se plaindre des loix trop sévères que je lui avais imposées ; loix néanmoins