Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/480

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

même à l’excès, pour nous faire agréer leurs premiers soins, dans la vue de nous engager à plier le cou sous un joug dont l’inégalité n’est que trop sensible. Mais, en conscience, je doute s’ils n’ont pas besoin d’un petit mélange d’insolence pour se soutenir dans notre estime lorsqu’ils y sont parvenus. Ils ne doivent pas nous laisser voir que nous puissions les traiter comme des sots. D’ailleurs, je m’imagine qu’un amour trop uni, c’est-à-dire une passion sans épines, en d’autres termes, une passion sans passion , ressemble à ces ruisseaux dormans, où l’on n’appercevrait pas le mouvement d’une paille, de sorte qu’un peu de crainte, et même de haine, qu’on nous inspire quelquefois, produit des sentimens tout opposés. S’il y a de la vérité dans ce que je dis, Lovelace, qui s’est montré d’abord l’homme du monde le plus poli et le plus respectueux, a saisi la vraie méthode. La pétulance qu’il a marquée depuis, sa facilité à faire une offense, son égale facilité à s’humilier, me paroissent capables, sur-tout dans un homme à qui l’on connaît du sens et du courage, de soutenir vivement la passion d’une femme, et de la conduire, en la fatiguant par degrés, à une sorte de non-résistance , qui différera peu de la soumission qu’un mari tyran peut désirer dans la sienne. Il me semble, en vérité, que la différente conduite de nos deux héros à l’égard de leurs héroïnes porte la vérité de cette doctrine jusqu’à la démonstration. Pour moi, je suis si accoutumée aux langueurs, aux soins rampans et à la soumission du mien, que je n’attends de lui que des soupirs et des révérences ; et je suis si peu touchée de ses sots discours, que souvent, pour le faire taire ou pour me réveiller, je suis forcée d’avoir recours à mon clavessin. Au contraire, Lovelace sait tenir la balle en l’air ; et son adroite vivacité dans la conversation, est un jeu continuel de raquettes. Vos disputes et vos réconciliations fréquentes vérifient cette observation. Je crois réellement que, si M Hickman avait eu l’art de soutenir mon attention à la manière de votre Lovelace, je serais déjà sa femme. Mais il devait commencer sur ce ton ; car il est trop tard à présent pour y revenir. Jamais, jamais il ne se rétablira ; c’est sur quoi il peut compter. Son sort est de faire le nigaud jusqu’au jour de notre mariage ; et, ce qu’il y a de pire pour lui, d’être condamné à la soumission jusqu’à son dernier soupir. Pauvre Hickman ! Direz-vous peut-être. On m’a quelquefois nommée votre écho : pauvre Hickman ! Dis-je comme vous. Vous vous étonnez, ma chère, que M Lovelace ne vous ait pas fait lire, en arrivant de Windsor, les lettres de sa tante et de sa cousine. Je n’approuve pas non plus qu’il ait différé un seul moment à vous communiquer des pièces si intéressantes, et qui ont un rapport si nécessaire aux conjonctures. Cette affectation de ne vous les montrer que le lendemain, lorsque vous étiez irritée contre lui, semble marquer qu’il les tenait en réserve, pour faire sa paix dans l’occasion : et concluez de-là que le sujet de colère était donc prévu. De toutes les circonstances qui sont arrivées depuis que vous êtes avec lui, c’est celle-ci qui me plaît le moins. Elle peut sembler petite à des yeux indifférens ; mais elle suffit aux miens pour justifier toutes vos précautions. Cependant je crois aussi que la lettre de Madame Greme à sa sœur, la demande répétée pour Hannah, pour une des filles de votre veuve Sorlings, et sur-tout pour Madame