Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/481

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Norton, sont d’agréables contre-poids. Ces quatre circonstances m’empêchent de dire tout ce que je pense de l’autre. L’étourdi ! De vous avoir déclaré le soir qu’il avait les lettres, sans offrir de vous les montrer. Je ne sais quel jugement porter de lui. J’ai lu avec plaisir ce que les dames lui écrivent, d’autant plus que, les ayant fait sonder encore, je trouve que toute la famille désire votre alliance avec autant d’ardeur que jamais. Il me semble qu’il n’y a point d’objection raisonnable contre votre voyage de Londres. Là, comme au centre, vous serez en état d’apprendre des nouvelles de tout le monde, et de donner des vôtres. Vous y mettrez la bonne foi de votre homme à l’épreuve, ou par l’absence à laquelle il s’est engagé, ou par d’autres essais de cette nature. Mais, au fond, ma chère, je pense toujours qu’il n’y a rien de plus pressant que votre mariage. Vous pouvez tenter (car il faut pouvoir dire que vous l’avez tenté) ce que vous avez à vous promettre de votre famille ; mais, au moment qu’elle aura refusé vos propositions, soumettez-vous au joug, et tirez-en le meilleur parti que vous pourrez. M Lovelace serait un tigre, s’il vous mettait dans la nécessité de vous expliquer. Cependant c’est mon opinion, que vous devez fléchir un peu. Souvenez-vous qu’il ne peut souffrir l’ombre du mépris. Voici une de ses maximes, qui avait rapport à moi : " une femme, m’a-t-il dit un jour, qui se propose tôt ou tard de faire tomber son choix sur un homme, doit faire connaître, pour son propre intérêt, qu’elle distingue son adorateur de la troupe commune ". Vous rapporterai-je de lui une autre belle sentence, prononcée dans son style libertin, avec un geste convenable au discours ? " il se donnait au diable, malgré le peu de délicatesse qu’on lui supposait, s’il prenait pour sa femme la première princesse de l’univers, qui balancerait une minute entre un empereur et lui ". En un mot, tout le monde s’attend à vous voir à lui. On est persuadé que vous n’avez quitté la maison de votre père que dans cette vue. Plus la cérémonie est différée, moins les apparences vous sont favorables aux yeux du public. Ce ne sera point la faute de vos proches, si votre réputation demeure sans tache pendant que vous ne serez point mariée. Votre oncle Antonin tient un langage fort grossier, fondé sur les anciennes mœurs de Lovelace. Mais jusqu’à présent votre admirable caractère a servi d’antidote au poison. Le harangueur est méprisé, et n’excite que de l’indignation. J’écris avec quantité d’interruptions. Vous vous appercevrez même que ma lettre est pliée et chiffonnée, parce que l’arrivée subite de ma mère m’oblige souvent de la cacher dans mon sein. Nous avons eu un fort joli débat, je vous assure. Ce n’est pas la peine de vous fatiguer par ce récit… mais en vérité… nous verrons, nous verrons. Votre Hannah ne peut se rendre auprès de vous. La pauvre fille est retenue depuis quinze jours par un rhumatisme qui ne lui permet pas de se remuer sans douleur. Elle a fondu en larmes, lorsque je lui ai fait déclarer le désir que vous avez de la reprendre. Elle se croit doublement malheureuse, de ne pouvoir rejoindre une maîtresse si chère. Si ma mère avait répondu à mes désirs, M Lovelace n’aurait pas été le premier qui vous eût proposé ma Kitty, en attendant Hannah. Je sens combien il est désagréable de se voir parmi des étrangers, et de n’avoir que des étrangers