Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/486

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propre qu’une servante commune à me tenir compagnie, lorsque je voudrais les voir moi-même. Je lui ai répondu, comme auparavant, que les servantes de Madame Sorlings et ses deux filles étoient également nécessaires dans leurs offices, et que l’absence d’un domestique ne pouvait causer que de l’embarras dans une ferme ; qu’à l’égard des curiosités de Londres, je ne penserais pas si tôt à me procurer ces amusemens, et que je n’avais pas besoin, par conséquent, de compagne pour le dehors. à présent, ma chère, de peur que, dans une situation aussi variable que la mienne, il ne survienne quelque chose de nuisible à mes espérances, qui n’ont point encore été si flatteuses depuis que j’ai quitté le château d’Harlove, je vais observer, plus que jamais, la conduite et les sentimens de mon guide. Cl Harlove.



M Lovelace à M Belford.

jeudi, 10 avril. Tu connais la veuve ; tu connais ses nièces ; tu connais le logement. As-tu jamais rien vu de plus adroit que cette lettre de notre ami Doleman ? Il prévient toutes les objections ; il pourvait à tous les accidens. Chaque mot est une ruse à l’épreuve. Qui pourrait s’empêcher de sourire, en voyant ma charmante qui apporte tant de précautions dans un choix qu’on a déjà fait pour elle, et qui pèse les différentes propositions, comme si son dessein était de me faire croire qu’elle peut avoir d’autres vues ? Que dis-tu de cette chère friponne, qui me regarde avec la dernière attention, pour découvrir dans mes yeux quelque apparence dont elle puisse s’aider à lire dans mon cœur ? Le puits est trop profond pour être pénétré par ses regards ; c’est de quoi je puis l’assurer, quand ils seraient aussi perçans qu’un rayon du soleil. Nulle confiance en moi, ma belle ? Il est donc clair que vous n’en avez aucune ? Si j’étais porté à changer de dispositions, vous ne l’êtes donc point à m’encourager par une généreuse confiance à mon honneur ? Oh bien ! Il ne sera pas dit, je vous jure, qu’un maître dans l’art d’aimer soit la dupe d’une novice. Mais admire donc cette charmante, qui, dans la satisfaction qu’elle ressent de mon artifice, emprunte de moi la lettre de Doleman, pour la communiquer à sa chère Miss Howe ! Sottes petites coquines ! Pourquoi se fier, dans tous leurs détours, à la force de leur propre jugement, lorsque l’expérience est seule capable de leur apprendre à parer nos attaques, et de leur donner la prudence de leurs grand-mères ? Alors, sans doute elles peuvent monter en chaire, comme d’autres Cassandres, et prêcher la défiance à celles qui ont la patience de les écouter, mais qui ne profiteront pas de leurs leçons mieux qu’elles, aussi-tôt qu’un jeune et hardi libertin, tel que moi, viendra croiser leur chemin.