Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/489

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a comblée de bénédictions. On lui a remis aussi le présent de M Lovelace. Je suis extrêmement contente de M Hickman, qui s’est servi de la même occasion pour lui envoyer deux guinées, comme d’une main inconnue. La manière m’a fait plus de plaisir que la valeur du bienfait. Ces bonnes œuvres lui sont familières, et le silence les accompagne si parfaitement, qu’elles ne se découvrent que par la reconnaissance de ceux qui en sont l’objet. Il est quelquefois mon aumônier, et je crois qu’il joint toujours quelque chose à mes petites libéralités. Mais le tems de le louer n’est pas encore venu. D’ailleurs, il ne me paraît pas qu’il ait besoin de cet encouragement. Je ne puis désavouer que ce ne soit une fort bonne ame ; et l’on ne doit pas s’attendre à trouver dans un homme toutes les bonnes qualités réunies. Mais réellement, ma chère, je le trouve bien sot de se donner tant de peine pour moi, lorsqu’il doit s’appercevoir du mépris que j’ai pour tout son sexe, et plus sot encore de ne pas comprendre, que dans ses vues, il fera tôt ou tard une pitoyable figure avec moi. Nos goûts et nos dégoûts, comme je l’ai souvent pensé, sont rarement gouvernés par la prudence, ou par le rapport qu’ils devraient avoir à notre bonheur. L’œil, ma chère, est allié si étroitement avec le cœur ! Et tous deux sont ennemis si déclarés du jugement ! Quelle union mal assortie que celle de l’esprit et du corps ! Tous les sens, comme la famille des Harlove, sont ligués contre ce qui devrait les animer et faire leur honneur, si l’ordre était mieux gardé. Trouvez bon, je vous en supplie, qu’avant votre départ pour Londres, je vous envoie quarante-huit guinées. Je fixe la somme, pour vous obliger ; parce qu’en y joignant les deux que j’ai fait donner à votre Hannah, je reconnais que vous m’en devrez cinquante. C’est aller au-devant de vos objections. Vous savez que je ne puis manquer d’argent. Je vous ait dit que je possède le double de cette somme, et que ma mère ne m’en connaît que la moitié. Que ferez-vous dans une ville telle que Londres, avec le peu qui vous reste ? Vous ne sauriez prévoir les besoins qui naîtront, pour des messages, pour des informations et d’autres occurences. Si vous faites difficulté de vous rendre, je ne croirai pas votre fierté aussi abattue que vous le dites, et qu’il me semble qu’elle doit l’être en particulier sur ce point. à l’égard des termes où j’en suis avec ma mère, il n’est pas besoin de vous dire, à vous qui la connaissez si parfaitement, qu’elle n’épouse jamais rien avec modération. Ne devrait-elle pas se souvenir du moins que je suis sa fille ? Mais non, je ne suis jamais pour elle que la fille de mon père. Il faut qu’elle ait été bien sensible au violent naturel de ce pauvre cher père, pour en conserver si long-temps la mémoire ; tandis que toutes les marques de tendresse et d’affection paroissent oubliées. D’autres filles seraient tentées de croire que l’esprit de domination doit être bien puissant dans une mère qui veut exercer sans cesse toute l’autorité qu’elle a sur ses enfans, et qui, tant d’années après la mort d’un mari, regrette de n’avoir pas eu sur lui le même empire. Si ce langage n’est pas tout-à-fait décent dans la bouche d’une fille, il doit vous paraître un peu excusable par la tendre affection que je portais à mon père, et par le respect que j’aurai éternellement pour sa mémoire. C’était le meilleur de tous les pères ; et peut-être n’aurait-il pas été un mari moins