Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/49

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plaisir à mortifier les orgueilleux et les insolens. Pourquoi vous imaginez-vous que je souffre Hickman ? C’est parce qu’il est humble et qu’il sait se tenir à la distance qui convient.

Vous voulez savoir aussi pourquoi votre sœur aînée n’est pas pourvue la première ? Je réponds : parce qu’elle est faite pour épouser un homme fort riche ; première raison ; la seconde, parce qu’elle a une sœur cadette. Faites-moi la grace de me dire, ma chère, où est l’homme fort riche qui voulût penser à cette sœur aînée, tandis que la cadette est à marier. Apprenez de moi, mon enfant, que vous êtes trop riches pour être heureux. Chacun de vous, par les maximes fondamentales de votre famille, ne doit-il pas se marier pour le devenir encore plus ? Laissez-les s’agiter, gronder, se chagriner et accumuler ; s’étonner de n’être pas heureux avec leurs richesses ; croire que le mal vient de ce qu’ils n’en ont pas davantage, et continuer ainsi d’entasser, jusqu’à ce que la mort, qui entasse et qui accumule avec autant d’avidité qu’eux, vienne les moissonner pour grossir son magasin.

Ma chère, encore une fois, apprenez-moi ce que vous savez de leurs motifs ; et je vous donnerai plus de lumières sur leurs fautes que je n’en puis recevoir de vous. Votre tante Hervey, dites-vous, ne vous les a pas cachés. Mais pourquoi faut-il que je vous les demande, lorsque vous me pressez de vous en dire mon avis. Qu’ils veuillent s’opposer à notre correspondance, c’est un acte de sagesse qui ne me surprend point, et dont je suis fort éloignée de les blâmer. J’en conclus qu’ils connaissent leur folie ; et s’ils la connaissent, est-il étrange qu’ils craignent de l’exposer au jugement d’autrui ? Je suis fort aise que vous ayez trouvé un moyen d’entretenir notre commerce. Je l’approuve beaucoup, et je l’approuverai encore plus, si les premiers essais sont heureux ; mais ne le fussent-ils pas, et ma lettre tombât-elle entre leurs mains, je n’en serais fâchée que par rapport à vous.

Nous avions entendu dire, avant que vous m’eussiez écrit, qu’il y avait eu quelque différent dans votre famille à votre arrivée, et que M. Solmes vous avait rendu une visite, avec quelque espérance de succès. Mais j’avais jugé que l’erreur tombait sur les personnes, et que ses prétentions étoient pour Miss Arabelle. Au fond, si elle était d’aussi bon naturel que vos joufflues le sont ordinairement, je l’aurais crue trop bonne de moitié pour lui. Voilà le mystère, pensais-je en moi-même ; et l’on aura fait revenir ma chère amie pour aider sa sœur dans les préparatifs de la noce. Qui sait, disais-je à ma mère, si cet homme-là, lorsqu’il aura supprimé sa perruque jaune à petites boucles, et son grand chapeau bordé, que je suppose avoir été du meilleur goût sous le regne du protecteur, ne fera pas une figure supportable à l’église, pendu au côté de Miss Arabelle ? La femme, suivant l’observation de ma mère, aura quelque chose de mieux que le mari dans les traits. Et quel meilleur choix pourrait-elle faire pour en tirer du lustre.

Je m’étais livrée à cette imagination, malgré les bruits publics, parce que je ne pouvais me persuader que les plus sottes gens d’Angleterre le fussent assez pour vous proposer un homme de cette trempe.

On nous avait dit aussi que vous ne receviez aucune visite. Je ne pouvais expliquer cette circonstance, qu’en supposant que les préparatifs pour votre sœur ne devaient pas être publics, et qu’on voulait brusquer