Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/494

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Il vous paraît dur, ma chère, d’être traitée comme une petite fille ! Eh ! Pouvez-vous penser qu’il ne soit pas aussi dur à d’honnêtes parens de se croire dans la nécessité de tenir cette conduite ? Vous figurez-vous qu’à la place de votre mère, si votre fille vous avait refusé ce que votre mère demandait de vous, et vous avait disputé le droit de vous faire obéir, vous ne lui eussiez pas donné un coup sur la main, pour lui faire quitter un papier défendu ? C’est une grande vérité, comme votre mère vous l’a dit, que vous l’aviez provoquée à cette rigueur ; et c’est de sa part une extrême condescendance, à laquelle vous n’avez pas fait l’attention qu’elle méritait, d’avoir reconnu qu’elle en étoit fâchée. Avant le mariage (où nous entrons sous une autre espèce de protection, qui n’abroge pas néanmoins les devoirs de la nature), il n’y a point d’ âge auquel notre sauve-garde la plus nécessaire et la plus puissante ne soit les ailes de nos parens, pour nous garantir des vautours, des milans, des éperviers et d’autres vilains animaux de proie, qui voltigent sans cesse au-dessus de nos têtes, avec le dessein de nous surprendre et de nous dévorer, aussi-tôt qu’ils nous voient écartées de la vue, c’est-à-dire du soin de nos gardiens et de nos protecteurs naturels. Quelque dureté que vous puissiez trouver dans l’ordre qui nous interdit une correspondance autrefois approuvée, si votre mère juge néanmoins, qu’après ma faute elle soit capable de jeter une tache sur votre réputation, c’est une dureté à laquelle il faut se soumettre. Ne doit-elle pas même se confirmer dans son opinion, lorsqu’elle voit que le premier fruit de votre attachement à la vôtre, est de vous inspirer de l’humeur et de la répugnance à lui obéir ? Je sais, ma chère, qu’en parlant d’ humeur et du nuage épais que vous m’avez représenté, vous ne pensez qu’à mettre dans vos termes ce sel délicieux qui fait le charme de votre conversation et de vos lettres. Mais, en vérité, ma chère amie, je le crois déplacé dans cette occasion. Me permettez-vous d’ajouter à ces ennuyeux reproches, que je n’approuve pas non plus, dans votre lettre, quelques-uns des traits qui ont rapport à la manière dont votre père et votre mère vivaient ensemble. J’ose dire que ces petits démêlés n’étoient pas continuels, quoiqu’ils fussent peut-être trop fréquens. Mais votre mère est moins comptable à sa fille qu’à tout autre, de ce qui s’est passé entre elle et M Howe, dont je dirai seulement que vous devez révérer la mémoire. Ne feriez-vous pas bien d’examiner un peu si le petit ressentiment qui vous restait contre votre mère, lorsque vous aviez la plume à la main, n’a pas servi à réveiller vos sentimens de respect pour votre père ? Chacun a ses défauts. Quand votre mère aurait tort de rappeler des mécontentemens dont le sujet n’existe plus, vous ne devez pas avoir besoin qu’on vous fasse considérer à l’occasion de qui et de quoi ces idées renaissent dans son esprit. Ce n’est pas à vous non plus qu’il appartient de juger de ce qui doit s’être passé entre un père et une mère, pour faire vivre, et pour aigrir même d’anciens souvenirs dans la mémoire du survivant.